L’influence de la culture africaine sur les musiques populaires des Amériques et des Caraïbes a longtemps été occultée au profit de l’apport des colons européens. Pourtant, les millions de déportés africains auront largement dominé la musique du xxe siècle : blues, jazz, rock, samba, reggae-dub, salsa, rap… Alors que depuis trente ans, ces origines africaines sont mises à jour de façon fragmentaire, l’anthologie 2CD Musica Negra in Americas propose une lecture continentale de la négritude musicale avec 32 artistes venant de 19 pays différents.

Délibérément, Musica Negra in Americas n’aborde ici ni les musiques afro-américaines les plus évidentes, celles qui sont sorties du ghetto de la world music pour devenir des musiques à proprement parler mondiales (le rock et le rap par exemple), ni les musiques électroniques (le ragga, la techno). Cette anthologie fait donc une large place à des artistes afro-américains moins connus du public que Prince, Bob Marley ou Jorge Ben. Les « découvertes » de cette anthologie sont de toute beauté, notamment chez les chanteuses. La voix exaltée de Carmen Gonzales (Equateur), portée par des rythmes afro-marimbas hypnotisants, est d’une irrésistible sensualité, tandis que la majestueuse Susana Baca (Pérou) rivalise de finesse et d’élégance dans le registre du lando. La plus sublime reste toutefois la regrettée Toto Bissainthe (Haïti) dont les plaintes tragiques font écho au Freedom Now Suite d’Abbey Lincoln et Max Roach. Un sommet de pureté et de dignité que l’on retrouve aussi dans les spirituals du Grupo Vocal Desandann de Cuba, eux aussi d’origine haïtienne. Dans la mouvance jazz, le kaseko du FraFra Sound/Kaseko Revisited (Surinam) et le Martiniquais Mario Canonge fusionnent chacun les musiques créoles locales avec une virtuosité pianistique absolument lumineuse.

Les percussions afro-latines et afro-brésiliennes sont spécialement à l’honneur sur le deuxième CD avec Luizinho Vieira (Brésil) Issoco (Curaçao) et Manny Oquendo Y Libre des frères Gonzales (Porto Rico). Véritable torrent d’énergie brute hérité des tambours du Congo et de Guinée, le gwo’ka d’Erick Cosaque (Guadeloupe) est certainement la musique la plus authentiquement africaine. Même dans les styles musicaux plus familiers, la sélection de Musica Negra in Americas reste irréprochable. Le blues impérial de Big Mama Thornton (avec Muddy Waters) ou le gospel-blues des Jackson Singers, mariage du profane et du sacré, paralysent l’esprit comme des poisons foudroyants, sans antidote possible. Les trios vocaux jamaïcains sont immortalisés par deux purs bijoux roots : le chef-d’œuvre impressionniste des Congos, Fisherman, production du Black Ark Studio, et l’hymne des Abyssinians, Satta Massagana, avec son prêche de retour en Afrique : « There is a land where there is no night, there’s only day ». Une unité perdue toujours célébrée dans le rastafarisme jamaïcain, la santeria cubaine, le condomblé brésilien et le vaudou haïtien.