Pour tous ceux qui se lamentent sur l’incapacité chronique des pianistes actuels à jouer Mozart, cet enregistrement les confortera dans leur point de vue. Pour tous ceux qui attendent de la musique de Schubert un ineffable compromis entre superficialité mondaine et profondeur intime, la conjonction Britten-Richter résonnera à leurs oreilles comme une merveille d’évidence. Pour tous ceux qui font de Debussy le dernier des romantiques et le premier des modernes, les quinze minutes d’En blanc et noir les transporteront par-delà les carcans historiques. Il y a certains disques qui dépassent leur objectif.

Britten avait fait d’Aldeburgh son lieu de villégiature estival. Il y invitait tous ses amis : Peter Pears son amant, Clifford Curzon le premier complice et bien sûr son ami Richter. L’association de ce dernier avec le compositeur du War Requiem relève du miracle. Il s’accomplit dans les sonates de Mozart un prodige de perfection qui n’appelle aucun commentaire. Tout juste peut-on dire que les quelques fausses notes s’effacent comme par enchantement derrière l’harmonie exceptionnelle de leur fulgurance stylistique. A rebours des chichis craintifs et galants des interprétations contemporaines, ils osent des attaques péremptoires, l’instabilité métronomique, un tempérament énergique. Ils trouvent une verve, une audace, une grâce qui font bien de Mozart le plus génial d’entre tous.

L’Andantino varié de Schubert possède une mélancolie, un lyrisme romantique. Pourtant, il y a bien ici aussi une maîtrise du clavier qui relève du même souci d’équilibre classique. En soi, le recours aux variations est déjà un gage de classicisme. La nécessité impérieuse du développement cellulaire descend tout simplement de Haydn. La délicatesse digitale de notre duo parvient à dessiner un jeu d’ombres et de lumières aveuglant. Seul semble compter le pouvoir des notes, capables de dire aussi nettement que des mots l’écoulement du temps.

L’œuvre de Debussy s’articule plus précisément dans le désir du nouveau, dans la quête d’inouï. Comme toujours le musicien français exploite de nouvelles textures, de nouvelles combinaisons rythmiques. En cela, En blanc et noir s’ancre dans notre siècle finissant comme un des jalons du piano « sans marteau ». De prime abord, il apparaît que nos deux pianistes sont moins virulents, moins radicalement bouleversants. Pourtant, ils confèrent à leur jeu une substance, un propos cinglant. Britten et Richter les pacifistes s’accaparent le sombre deuxième mouvement avec gravité et solennité. Cette méditation sur le son de la guerre nous emmène dans les arcanes tristes et magnifiques du statut de l’oeuvre d’art.

(1) Sonate en ut majeur à quatre mains K. 521, Sonate en ré majeur pour deux pianos K. 448
(2) Andantino varié D. 823 à quatre mains
(3) En blanc et noir pour deux pianos