« We all collectively were fucking depressed ». Quand Complex revient avec Havoc et Prodigy  sur la composition et l’écriture de The Infamous, il faut attendre le morceau Cradle To The Grave pour avoir un aperçu de l’état d’esprit qui prédominait chez les deux rappeurs vingt ans auparavant. Au détour de l’anecdote, Havoc évoque la sonorité du beat, et son adéquation avec les sombres images qui trottaient à l’époque dans la tête du duo : « We wanted to express ourselves in that tone. There’s nothing pretty about the beat so it was just fitting. » Un ton noir et nihiliste, qui en 16 épisodes dépeignent la vie à Queensbridge avec une lucidité déstabilisante, parlent d’un frère enfermé (« Temperature’s Rising »), d’allers retours vers les prisons du Nord de New York (« Up North Trip »), évoquent la paranoïa (« Trife Life ») et les addictions (« Drink Away The Pain »). Ce recul à froid, ce réalisme déconcertant de calme n’est pas courant chez deux gamins âgés de vingt ans. On ne le retrouvera nulle part ailleurs. The Infamous vient de se figer tout en haut des classiques, les cinq micros de The Source à l’appui.
20 ans plus tard, que reste t-il de Mobb Deep, de leur statut d’étalon du rap dit « Hardcore » à une époque où The Infamous  venaient se lover auprès d’Illmatic et Enter The Wu-Tang (36 Chambers) respectivement sorti un et deux ans plus tôt ? Aujourd’hui Atlanta, Chicago ou encore Los Angeles, la grande rivale de jadis, semblent surfer sur des courbes plus dynamiques que la Big Apple qui oscillent entre épiphénomène  (ASAP Rocky), queer rap (Mikky Blanco, Le1f) et crise de nostalgie (Joey Badass). Au milieu de ce vivier inégal, Mobb Deep sort The Infamous Mobb Deep, huitième album, dont la date de sortie coïncide avec les 20 ans de ce chef d’œuvre qu’est The Infamous, premier du nom. Accompagné d’un deuxième cd remplis d’inédits de la grande époque, The Infamous Mobb Deep ressemble à un prétexte, rendu invisible par la posture dominante de son glorieux ainée. Une manière de ramener sous la lumière un classique indéboulonnable qui réintroduit Mobb Deep, tenu absent depuis 2006 et l’épisode Blood Money sorti sur G-Unit, le label de 50 Cent, fan absolu du groupe.
Pour réactiver la magie, Havoc et Prodigy ont fait appel à quelques figures connues (The Alchemist, Nas) et deux-trois nouvelles têtes (Illmind, Juicy J, Bun B), confiant la remise en route de leur univers à plusieurs producteurs avisés. Le résultat donne lieu à un album réussi, même si on ne peut s’empêcher de penser qu’il vaut plus pour sa simple présence que par sa qualité intrinsèque. Une présence d’autant plus précieuse aujourd’hui que les dernières années ont été douloureuses, semant d’embuches le chemin qui menait à ces retrouvailles : 3 ans de prison pour Prodigy pour possession d’arme, le sceptre de la drépanocytose qui coule dans ses veines, et il y a deux ans, des tensions inattendues via Twitter avec Havoc, son partenaire de toujours. Aujourd’hui revenu d’à peu près tout, Mobb Deep brandit son nouvel album non pas comme un retour en force, mais comme une victoire de plus contre des démons qui ne sont jamais très loin.