La belle tautologie : chaque genre musical produit invariablement sa ribambelle de succédanés, insipides déclinaisons d’un original dont elles restent les prisonnières. Les musiques électroniques ne font pas exception : plus qu’ailleurs même, le copier/coller y fait des ravages. Selon une formule que m’inspire un morceau du prochain Momus (Oskar tennis champion), le laptop musician possède son ersatz bien connu. Pour désigner le chien d’appartement que l’on pose sur ses genoux, les Anglais utilisent le mot « lapdog ». Peu encombrant et toujours « mignon », fidèle quoique parfois collant, cet utile accessoire de décoration possède tous les attributs de ce pollueur de salle de concerts peu inspiré qui, planqué derrière son écran d’ordinateur, balaie d’un regard morne un public ennuyé : le bien nommé lapdog musician.

Avec la publication d’afk, son premier album sur le label japonais Current, Minifer (aka Mehdi Hercberg) montre qu’il est de cette catégorie de musiciens que la fainéantise a épargnée. De ce que son coup d’essai donne à entendre (du « poum-chack, pro kruitch-kruitch » selon ses termes), Minifer montre qu’il possède ces qualités précieuses que l’on retrouve chez cet autre grand nippophile de Momus : être iconoclaste tout en maîtrisant ses classiques et pimenter sa musique d’un soupçon de perversité (Medhi y parvient sans textes mais en damasquinant de ritournelles enfantines son capharnaüm sonore). Un bémol tout de même : selon une coutume dont l’origine s’est perdue, les morceaux d’electronica n’accordent le plus souvent aucune valeur signifiante à leurs titres, d’où des noms à dormir de debout. afk n’échappe malheureusement pas à ce travers : flc, trk, etc.

Mais on l’a dit, l’essentiel se trouve dans ces 14 morceaux qui rendent vaine toute tentative de catalogage, tant ils s’échappent brillamment des sentiers battus. Si certains collages de sons, voix, échantillons électroniques et flux musicaux (abite, plic yoda) sont dignes d’un disque (barré) de Schaeffer ou Henry, d’autres morceaux comme global, avec leur cataracte de sons concrets s’évanouissant dans des profondeurs abyssales (une foule compacte ? le bruit du jusant ? des pierres qui s’entrechoquent ?) pourraient évoquer l’acousmatique tellurique de Lionel Marchetti. Sur casals 1, des cordes vibrent et sautent comme sur un CD scarifié, une voix ralentie répète « the time was growing and changing » pendant que le bruit d’une bande de dictaphone que l’on rembobine s’abstrait de son origine pour devenir pure matière sonore. casals 2 fait quant à lui penser à une oraison funèbre du troisième type : une nappe qu’on pourrait prendre pour un orgue à pompe se love dans des drones de cordes rampant sous des sons hachés menu. Et lorsque les mélodies pointent le bout de leur nez, Minifer écrit à la chaîne des tubes qui s’ignorent. Sur slomo, une balade de mélodica grêle chancelle au-dessus de deux notes sourdes oscillant comme un balancier. Avec ses tintinnabulements de timbres, amberson se fraie un chemin au Pays d’Oz pavé d’assonances et de borborygmes, tandis que la comptine martienne narrée sur flc ne démériterait pas sur le Hoshi No Koe de Takemura. Cerise sur le gâteau sur makoto, le morceau final : des amis de Mehdi s’invitent avec leur piano, flûte et bouquets de grelots pour une joyeuse sarabande psychédélique.

La musique de Minifer procure la même impression d’étrangeté que lorsqu’on écoute pour la première fois le duo norvégien Alog : afk ne ressemble tout simplement à rien. Et c’est l’altérité de ce disque qui le rend si encombrant (qu’en faire et où le ranger ?), si « vilain » (pourquoi mettre tant de plaisir à déjouer nos attentes ?) et si infidèle (pourquoi ne se plie-t-il pas à la discipline des modes ?). Bref, tout ce qu’on aime.