Né comme la danseuse monochrome du très monomaniaque Carsten Nicolai, le label allemand Raster-Noton a étrangement tiré son épingle du jeu de la grande déconfiture clicks’n’cuts de la deuxième moitié des années 2000 pour devenir le label post-électronique le plus écouté et le plus distribué de son continent. Mais après plusieurs années à tremper dans un jus post-digital esthétisant et pas franchement ragoûtant (cette fameuse muzak à lunettes carrées qu’on pose sur la platine pour tester son ampli à lampes audiophile), le label s’est doucement endurci ces deux dernières années en publiant quelques excellents plateaux radicaux (le furieux Test pattern de Ryoji Ikeda, le magique COH plays Cosey d’Ivan Pavlov et Cosey Fanni Tutti, l’extrême Atavism des revenants SND) et le chef d’oeuvre électronique de 2009, le Liedgut d’Atom™. Mais c’est avec la série de maxis UNUN que les DA de Raster nous surprennent le plus : oubliez la table des éléments qui donne son nom au catalogue et vous voilà en présence d’oeuvrettes furibondes, enthousiastes et bourrées de bonnes idées. La faute au volume inaugural de la série paru en 2008, signé NHK (les noisers Kouhei Matsunaga et Toshio Munehiro), et qui mettait un gros coup de latte dans la fourmilière des bouffeurs de sinus à renfort de polyrythmie furieuse ?

Le newcomer Grischa Lichtenberger, qui fait là ses premiers pas discographiques, semble en tout cas avoir retenu la leçon. Sur le papier, on baille (le matériau sonore du disque comprend des bruits de radiateurs ou de machines cassées, blah blah), mais le petit gars tonne et étonne. Avec ses clusters de larsens et ses blocs de ciment érodé tombés tout net de la cuisse d’une session récente de Autechre, le méchant Treibgut impressionne même beaucoup. Avec un processing analogique en bout de course, c’est presque du miel pour les oreilles.

Plus prévisible, l’ami Aoki Takamasa (qui squatte toujours le loft de Sakamoto à Berlin) se contenterait presque d’accélérer le tempo et de soustraire la house à ses tentatives récentes. Mais il faut bien avouer qu’avec un soupçon de vitesse et de méchanceté, sa science toujours plus massive du rythme a une allure folle et il n’y a guère que les boucles de voix dans les machines qui gâtent la ballade en montagne.

Mais c’est encore et toujours le doyen Mika Vainio de Pan Sonic, dieu sur terre de toute la clique, qui tire le plus loin et tape le plus fort. Enième retour au groove après une année d’errances dans les failles (le très fracturé et opaque Aíneen Musta Puhelin / Black telephone of matter, paru cet été sur Touch), ce Vandal EP furieux voit le Finlandais régler ses comptes avec tous ses pompeurs (le surestimé Sleeparchive en tête) et c’est à se fracasser la machoire contre un bloc de béton. Binaire et frigorifique sur « Barbarians », furieusement groovy sur « Teutons », limite wagnerien sur « Vandals », cet écho magistral des maxis B ou Osasto de Pan Sonic n’est pourtant qu’une énième preuve que même après quinze ans de carrière et 40 albums, l’arte povera de Mika est fraîche est fertile comme au premier jour.