La Métronomie est la théorie de l’usage du métronome. « Métronomie » pourrait aussi bien être un néologisme formé par les mots « Métronome » (apprentissage du tempo) et « Astronomie » (mécanique céleste), liant l’un à l’autre comme le rythme des étoiles. Metronomy est surtout un groupe electro-pop anglais, créé par l’anglais Joseph Mount, métronome humain et chanteur-étoile, donc, au sein du trio qui s’est constitué (avec Gabriel Stebbing et Oscar Cash) autour de ses chansons sautillantes ou claudicantes, boites à rythmes cassées, musiquées en petites danseuses de guingois. Le trio, après plein de live, de buzz et de remixes (parmi lesquels Architecture in Helsinki, Franz Ferdinand, Sébastien Tellier, Klaxons, Ladytron, Kate Nash, Good Shoes ou Gorillaz), sort son premier long-awaited album, Nights out, les Nuits dehors. De fait, les étoiles sortent la nuit, c’est connu, et elles dansent, ça on le savait moins.

Ca commence en introït comme une musique Klezmer sur un clavier MIDI, que ne renieraient ni Villalobos, ni Beirut, sinon que ça sonne un peu faux, un peu freaks, un peu tordu, et en même temps marche martiale, militaires bourrés des pays de l’Est, passés au filtre numérique, brouillés dans les fréquences, inaudibles. De fait, cette illusion acoustique fait long feu dès le deuxième titre, The End Of You Too, sorte d’Incredibly Strange Music tarée, qui ressuscite les marimbas du virtuose Harry Breuer en mode hyper synthétique, dance-music hystérique, scansion de mélodies en étagères, absurdement outrancières, tant dans leurs textures que pour leur naïve simplicité (rappelant Jacno, Rectangle, que le groupe, en interview, dit ne pas connaître). Si vous aimez les gimmicks de claviers à la Rencontre du Troisième Type, vous toucherez les étoiles sur ces sons numériques direct-to-disk, ces guitares électriques désaccordées et branchées directement sur l’ordi, sans aucune autre médiation que le câble et la carte son, inventant inconsciemment un style, qui reflète aussi tout un mode de vie (Joseph Mount, dans une pirouette : « A l’époque, je n’avais juste pas les moyens de me payer un ampli. »). Art cheap extrémiste, le son low-budget de Metronomy sur ce beau Nights Out se joue des techniques amphigouriques des studios à 100 000 Euros et séduit la génération Hype Machine avec la production la plus directe, la plus spontanée, la plus immédiate qu’un home-studio puisse produire (même si le passage chez un gros label a permis un mastering en bonne et due forme).Tout semble alors si facile, sans le compresseur Telefunken et le plugin de reverb’ onéreux, que c’en est presque punk, Do it Yourself, dans la promotion des idées avant leur matière (« Metronomy est un groupe pop, en ce sens qu’une pop-song doit apporter quelque chose de nouveau à l’auditeur toutes les cinq ou dix secondes, pour qu’il puisse réévaluer sans cesse son expérience et l’ensemble du morceau. Il doit être bombardée d’idées, autant musicales que visuelles. C’est une sorte de mind-game – même si nous ne voulons pas paraître plus intelligents que l’auditeur… »). Joseph Mount fait ainsi primer les mélodies avant leurs arrangements, le fond avant la forme, les fins avant les moyens (alors que toute la musique du XXe siècle s’acharnait à faire le contraire, avec les résultats que l’on sait : crise du disque, Olivennes le patron de la FNAC en vilain rapporteur, etc.) et se créé un style unique, dont les défauts deviennent les qualités. Bref, c’est salvateur, c’est 2008, c’est mp3, c’est jeune, c’est intelligent, c’est très bon.

De fait, Joseph Mount a commencé sa carrière métronomique en mettant en ligne le jour même de leurs conceptions ses remixes maison de Britney Spears ou de U2, ce qui fait de lui un exemple de cette génération connectée, qui se fait connaître sans l’intermédiaire des maisons de disques, mais dans le grand vortex dématérialisé du Net. Metronomy fait bien la musique de son époque, et la pop, c’est ça finalement : produire le son de son époque, en fonction du développement des technologies, que celles-ci progressent (l’invention du studio au XXe siècle accompagne l’expansion de l’industrie discographique pour tous) ou régressent (la disparition du disque au XXIe siècle accompagne la démocratisation du home-studio et de la musique pour chacun). Ainsi, le trio fait furieusement (et musicalement) penser à Devo, le groupe de la « dévolution », dans sa manière ironique de trancher le lard de l’oreille, autant que dans son exagération perverse des gimmicks de la dance-culture (poum-tchak-tss-tss-tss), son côté subversif sans cynisme (cette manière de s’en foutre paresseusement de l’accordage d’une guitare, à tel point que certains morceaux évoquent les Shreds de StSander sur YouTube, post-synchros désaccordées et follement comiques de Santana ou Metallica), qui tourne tout en dérision dans la vulgarité pop assumée (pas loin d’un groupe post-pop comme Ween) et la mise en évidence du grotesque spectaculaire (le freak-show de tous par tous). Metronomy semble ainsi se moquer, de manière subtile et un peu sadique, des corps sans têtes que sont les danseurs sur le dancefloor, en une réflexion amusée sur le totalitarisme hédoniste des années 00. Et quand Devo portaient des costumes d’ouvriers irradiés et de petits chapeaux qui ne les protégeaient de rien, les trois membres du corps Metronomy se déguisent en robots auto-computérisés, lorsqu’ils apparaissent sur scène, avec un bouton lumineux sur le torse, commutateur électrique qu’ils allument et éteignent eux-mêmes de la main, on et off, pour arrêter ou relancer le mouvement et la musique, en un courant alternatif autogéré, action/passion, silence/son, mouvement/mort, comme des robots autonomes, des Kraftwerks animés et libérés : « Kraftwerk étaient sévères, nous voulions paraître plus « humains » dans notre attitude. Mais le public européen, et français en particulier, est plus réceptif à l’humour que nous déployons dans nos chorégraphies, que le public anglais ». Loin de la lourdeur mégalo des robots-après-tout Daft Punk, maladroitement féminins (voix hautes et chorégraphies), seulement guidés par leurs automatismes nerveux, leurs pas de danse fantaisistes et constructivistes, en un esprit de fête joyeusement normatif, cyclique, répétitif, métré, mais aussi tellement bancal, touchant, le trio Metronomy s’inscrit d’abord dans la rétine avant d’imposer ses routines et ritournelles acides, comme un groupe d’automates en roue libre, de poupées jouées par leurs déterminismes inconscients, mais libérées dans le don de soi à la société informationnelle. Merveilleux concept, merveilleux groupe, qui nous propose de nous libérer en devenant nos propres marionnettes. Pensons-y.