Il y a 30 ans déjà, on parlait d’un « certain rock français » pour classifier à la va-vite les quelques protubérances hexagonales en matière musicale. Quand il ne s’agissait pas de Téléphone ou de Trust, vagues déclinaisons niaiseuses de la révolte « born in the USA », les quelques activistes disséminés aux quatre coins du pays rehaussaient notablement la qualité de production musicale environnante. Et maintenant ? Quelques loups solitaires ont profité de la vague néo-réaliste de la chanson française (tous les groupes stickés « ffff »), pour sortir de l’anonymat consternant qui les retenaient, reclus, dans la noirceur des scènes underground, souvent trop actives pour ne pas flairer le piège de la surproduction. Tout ça pour, des années plus tard, redécouvrir quelques figures majeures de ces autres musiques (Comelade, Bastien, Berrocal, Pinhas) et faire naître des vocations plus ambitieuses qu’au premier abord. Yann Tiersen est un des premiers a avoir bien compris l’intérêt d’abandonner la posture romantique du « seul contre tous » pour profiter de la brèche médiatique et s’y engouffrer à tout prix. Nul besoin pour ça d’y aller (et de vendre) corps et âmes comme lui, au risque d’y perdre toute sa créativité et de participer au grand non-effort de redite.

Comelade, Bastien, toujours et encore. Des figures intègres, qui « poursuivent, sans dévier ». Ces minimalistes auront sans aucun doute marqué l’esprit d’une génération musicale en quête de charisme, d’identité volatile. MAN, dans sa musique acoustique, véhicule tout à la fois ce désir intense de déplacer l’émotion, de créer à tous moments des affects musicaux intenses, simples sans être faciles. Prendre le temps, surtout, ne pas éviter les pauses et ne jamais oublier que chaque note doit être vécue, entièrement. Bien sûr, les modèles, même vagues, existent déjà. Et dans l’exercice du name-dropping référentiel, on aura beau jeu de scroller à l’infini dans nos discothèques, de Dakota Suite à The Rachel’s. N’empêche, si cette combinaison acoustique n’est pas inédite, l’alchimie, elle, tient de l’éphémère osmose, de la géniale trouvaille. Ni rock, ni classique, mais musicales, toujours, les mélodies de MAN sont autant de lignes de fuite harmolodiques proposées à l’auditeur. Des plages interstitielles et poreuses d’où partent une infinité de devenirs musicaux, denses et calmes. Un disque grave sans être sombre, pour un entertainment d’une autre humanité, différente à défaut d’être supérieure.