Son de basse énorme, guitare électrique oscillant entre saturation énervée et méditation décalée, batterie binaire infatigable, claviers polymorphes : ce groupe japonais au nom plutôt sympathique (« MSN », en abrégé) se cherche une place entre un revival seventies décomplexé et une modernité assumée, avec une patate qui, à défaut d’élégance, a au moins le mérite de faire dodeliner la tête. Côté grands ancêtres, les MSN semblent piocher dans deux pans de leur discothèque : le Canterbury syle élaboré à la fin des sixties par des groupes anglais aujourd’hui devenus cultes (Caravan, Soft Machine, Nucleus) d’une part, le jazz-rock virtuose qui fit les belles heures des anciens compagnons de route du Miles Davis électrique au sein de différentes formations à géométrie variable (on pense beaucoup au Return to forever de Chick Corea, Stanley Clarke et compagnie) d’autre part ; côté nouvelles tendances, il y a dans Leap second neutral les échos de tout ce que la dernière décennie a apporté au jazz, pour le meilleur et pour le pire, à commencer par la rencontre avec les loops machiniques des musiques électroniques. Rajoutez-y un zeste de folie furieuse qui n’est pas sans évoquer la dinguerie énervée d’un Zappa, vous aurez une galette absolument épuisante par sa monochromie (pas une plage de répit sur 54 minutes) mais pas dénuée de qualités : Masahide Hasegawa (saxophone, habitué de la scène punk et free jazz japonaise, partenaire de jeu de John Zorn lors de ses passages tokyoïtes), Toshiaki Sudoh (batterie et direction, compagnon de route d’Elliot Sharp, du groupe Ruins et de Jim O’Rourke), Hiroyuki Suzuki (basse) et Noriya Iwata (claviers) font preuve d’une notable inspiration dans l’écriture (généralement le talon d’Achille des formations du même type), d’une propension savante au mélange des timbres et d’une énergie parfaitement revigorante, si bien que leur Leap second neutral, second album après une première galette éponyme enregistrée en 2003 sur leur propre label, s’impose comme un bloc de musique détonnant et joyeusement fatigant, très inégal mais franchement jubilatoire dans l’ensemble. Malgré la propreté de la production, MSN parvient à gommer la dimension léchée et aseptisée propre à la plupart des projets du même genre (Tribal Tech, Vertu et compagnie), avec un grain de folie et une probité artistique grâce auxquels il évite tous les travers du style. Les jazzfans délicats n’y passeront pas la nuit, mais les amateurs ne devraient pas être déçus.