Difficile de définir ce qui séduit tant chez M. Ward. Il se peut, en ce qui me concerne, que l’envoûtement ait à voir avec son incroyable pouvoir de tendre et détendre sa musique quand bon lui semble. Ce pouvoir m’est apparu assez tard, lors d’un concert du bougon gaillard sur une embarcation parisienne. Tendre et détendre, disais-je : sa voix, sa guitare, tout, ce soir-là, était dans ses cordes, raides ou sensibles, nerveuses ou épanouies, simples ou virtuoses, lisses ou granuleuses, en désaccord permanent avec elles-mêmes. Souplesse, élasticité, métamorphose, l’œuvre de Ward tourne entière autour de ces notions de mouvance, de transition, de passage d’un état à un autre : End of amnesia, Transfiguration of Vincent, Transistor radio et maintenant Post-war, les titres de ses albums refusent le surplace, et sa musique avec.

Jusqu’à présent, cette instabilité se nichait au sein même de ses disques, brettelés de contrastes : on y passait en un éclair du calme à la tempête, du tombeur au tombeau, de Bach à Bowie, ça fatiguait un peu les sens, mais c’était bon. Aujourd’hui, Ward a beau continuer de faire défiler montagnes russes, fantômes, traducteurs, magiciennes et croque-morts dans les paroles de ses chansons, il semble musicalement las d’un tel manège, d’un tel ménage. Pour la première fois, il choisit le camp de l’unicité, de la constance : Post-war est l’album le plus homogène, le plus solide, le plus saturé de son créateur. Saturé d’électricité, de tension, d’énergie, mais pauvre en douceur, ce qui, vu le passif du petit en la matière, déçoit de prime abord. Quoi ! Ward, le zèbre de l’americana, serait-il devenu buffle ?

Pas tout à fait, entre les assauts bruitistes demeurent de jolies plages assagies (Post-war, Rollercoaster, Eyes on the prize), mais le groupe (basse, batterie, cordes, guitares, piano, choeurs) les escorte comme s’il s’agissait de dangereux suspects. Ailleurs, en revanche, la bande s’abandonne en de furieux geysers soniques, en de fielleuses noces entre le bruit et l’harmonie : To go home, reprise de Daniel Johnston, est transfigurée, presque spectorisée, Right in the head fuzz de partout, Requiem célèbre la mémoire de Led Zep’, même le magnifique Poison cup s’énerve sur la fin.

A vrai dire, calme ou pas calme, on ne chargera guère le bambin, ses décharges vibrant d’une électricité plutôt vivifiante. Premier album de M. Ward entièrement en groupe, Post-war n’a certes pas la délicatesse de sa plus belle collection à ce jour, Transfiguration of Vincent, mais il s’écoute avec félicité, d’autant que, plus resserré qu’à l’accoutumée, il ne trébuche à aucun moment. Même à la limite de l’électrocution, Ward reste un immense chanteur, un immense guitariste, un immense mélodiste, talents pour lesquels il mérite toutes les attentions, tous les awards, branchés ou pas.