Chroniqueur acerbe de l’invariable et inéluctable dégénérescence contemporaine, Luke Haines revient sur le devant de la scène ces jours-ci avec deux albums. Sur la pochette du premier, bande originale du film Christie Malry’s double entry, il pose en costard chic sur fond de flammes, tenant un panneau façon Dylan sur lequel on peut lire: Art ill save the world. Sur le second qui nous occupe ici, son premier album solo, où plutôt le premier à paraître sous son propre nom, il se tient l’œil mauvais et grimé comme le héros de Dickens derrière trois jeunes adolescents en total look caillera qui tiennent eux des petits panneaux annonçant le sous-titre de cet Oliver Twist manifesto : (or)what’s wrong with popular culture.

Même si les disques de Luke Haines font moins partie de notre quotidien que d’autres, on ne peut souligner l’importance de ce type salutairement et singulièrement acariâtre, toujours prompt à mettre le doigt sur les travers de l’époque quitte à mettre les pieds dans le plat. Il semblerait en effet que les disques de Luke Haines, à l’instar de ceux de Lawrence (ex-Felt et Denim, actuellement sous l’incarnation Go-Kart Mozart), soient quand même un peu plus nécessaires ou tout du moins un peu moins inutiles, que ceux de (et au hasard, pour prendre un de ses contemporains repérés à peu près au même moment que lui, soit aux débuts des années 90) The Divine Comedy. Le petit problème de ce type réside éventuellement dans son éparpillement sous différents pseudonymes et autres identités variables. Comment s’y retrouvera-t-il à l’heure des comptes entre The Auteurs, Baader-Meinhof, Blackbox Recorder et autres? Je pense sincèrement que Luke Haines lui-même en personne s’en soucie comme de sa première Telecaster et c’est très bien comme ça. Précisons aussi notre étonnement devant le fait qu’il soit toujours autorisé à produire des disques sur une structure importante alors qu’il n’en vend pas des brouettes.

« This is not entertainment » prévient au préalable Rock’n’roll communiqué No1.Et pourtant sous l’appellation de manifeste, Luke Haines propose un disque assez plaisant à entendre, visiblement inspiré par les sons de la r’n’b récente, avec en tout cas des cordes joliment arrangées, des rythmes fracturés et ternes et quelques guitares savamment travaillées, au son toujours prêt à sombrer dans la vulgarité sans jamais tomber du mauvais côté. Disons qu’il utilise les armes de l’ennemi à ses propres fins, qu’il distille une dose fatale d’arsenic dans la Chantilly ambiante. Et parvient même à composer avec Discomania un véritable tube en puissance (même si l’audition de la version plus électrique et encore plus évidente qui ouvre la B.O. de Christie Malry est plus convaincante). Mais est-ce qu’on entre aujourd’hui dans le top 10 avec un morceau qui commence par « They’re having sex to The Kids In America / This is the story of Discomania », la question reste posée. Chaque titre est ici un slogan (Never work, ne travaillez jamais! -au moins il cite ses sources) ou une histoire (Death of Sarah Lucas, Mr. and Mrs Solanas). Plus étonnant est le morceau-titre qui conclut l’album comme si l’on venait d’écouter une comédie musicale, qu’un dernier tableau venait conclure, façon Emilie Salie. Là, il se laisse aller à se prendre pour Eminem en personne. On trouvera ça grotesque ou amusant, pathétique ou irritant, culotté ou génial, mais les chansons de Luke Haines sont là, impeccablement brossées dans le sens contraire du poil. Toujours est-il qu’il peut les habiller n’importe comment (et ici souvent c’est comme des pouffes) : il sait honorer la chose pop. Pour mieux la déshonorer ensuite. Luke Haines est un sadique nécessaire et brillant.