Les compositeurs du XXe siècle posent bien des soucis aux générations d’interprètes à venir. Ils laissent à la postérité, outre des partitions, leurs propres interprétations. On peut même trouver des rouleaux de Debussy par Debussy au piano, et depuis Scriabine (mort en 1915) jusqu’à Kurtag, la plupart des génies du siècle se sont adonnés au genre. Aussi pour des raisons financières (être chef d’orchestre ou pianiste paie mieux qu’écrire), Stravinski a gravé tout Stravinski, Rachmaninov tout Rachmaninov, Messiaen tout Messiaen.
Lorsqu’ils ne sont pas interprètes, tel György Ligeti, ils supervisent l’intégrale qui est faite de leur œuvre pour une major (Sony pour Ligeti). Résultat : dans cinquante ou cent ans, il sera difficile d’interpréter Ligeti autrement, c’est à dire avec le sens de la transgression. Si nous connaissions vraiment le jeu de Chopin, pourrait-on supporter les visions si contradictoires de Cziffra et de Rubinstein ? Il y a des écoles d’interprètes qui privilégient une ligne esthétique, et se préoccupent peu des pratiques passées. C’est leur droit. Jusqu’à quand ?
Luciano Berio, s’il n’a la technique d’un chef tel Pierre Boulez, sait ce qu’il cherche et démontre avec Laborintus 2 sa maîtrise d’interprète. Cette œuvre, composée entre 1963 et 1965, est bien dans son temps. Par certains aspects, elle sonne, avant l’heure, comme une grande impro free jazz, teintée de sons électro-acoustiques. Laborintus 2 est une figure libre des années 60 marquées principalement par l’expérience Darmstadt. Musique instinctive, pleine de détails comiques, sensibles et expressifs. Presque aussi forte que la Sinfonia, ou A-Ronne, sur d’autres textes d’Edoardo Sanguinetti.
Edoardo Sanguinetti interprète justement aussi ses propres textes, sorte d’hommage à la Divine Comédie de Dante. Onomatopées, mélange de tout ce que la culture italienne peut produire (lyrisme bel canto des deux sopranos et de la contralto) sont à l’affiche. Par les phrasés, les sonorités (parcourant tout les registres de la voix), on est aussi au théâtre. Les interprètes (entre autres Michel Portal, Jean-François Jenny-Clarke, Jean-Pierre Drouet) prolongent, depuis 40 ans, par leurs carrières exceptionnelles, jamais cloisonnées dans un genre musical, l’esprit de cette œuvre. Formidable hymne à la liberté.