Fer de lance d’une techno palpitante aux relents de noise et de musique industrielle, le français Low Jack – Philippe Hallais de son vrai nom – avait surpris son monde avec un premier album qui réinventait le folklore rituel d’une péninsule au large du Honduras, loin des codes habituels du dancefloor. Avec ce second long player qui vient prolonger une série de maxis aux BPM plus marqués, il renoue avec son versant le plus harsh, assénant des coups de massue en 4/4 sur fond de grésillements électroniques et de roulis de bruit blanc.

Sur cette machine à coudre qui tricote du beat à plein gaz (culminant sur le banger « Sweatpants Chick » qui redonne ses lettres de noblesse à une jackin’techno bien cra-cra), il délaisse les rythmiques de traviole au profit d’une acrimonie grisante et viscérale, prodiguant une expérience physique du son qui ne se prête guère à une écoute domestique. De fait, Sewing Machine nécessite toute la puissance d’un sound system pour mieux nous inonder de ses déflagrations bruitistes et de son énergie ravageuse. De l’aveu même de Low Jack, il ne s’agit pas exactement de la direction qu’il privilégie ces derniers temps, s’agissant à l’origine d’un projet un peu bourrin qu’il comptait sortir planqué sous un pseudo. Mais l’insistance du label (In Paradisum) et le calendrier des sorties fait que ce nouvel album, attendu au tournant, marque à son insu le tournant de sa carrière et croule au final sous les éloges de la presse, d’ordinaire peu réceptive à une telle radicalité.

https://www.youtube.com/watch?v=ZMJwYM0VPtM

Changement d’époque, changement de paradigme: passé d’une niche semi-clandestine aux grandes orgues du Weather Festival (en trio avec Vatican Shadow et Ron Morelli, dont la collaboration studio ne saurait tarder), Low Jack est en passe de faire le grand écart entre une avant-garde libertaire, invisible aux yeux des medias, et l’univers plus hédoniste de la house, qui se frotte de plus en plus à la radicalité du metal extreme, du harsh noise ou du dub industriel (promulgué dans les années 1980 par le label On-u-Sound). Délivré de tout scrupules, Low Jack prend de toute évidence son pied à s’immerger dans cette marée de feedback électronique, sur laquelle viennent se plaquer les beats abrupts d’une boîte à rythmes ancestrale.

https://www.youtube.com/watch?v=Fy4Zmpf4V18

C’est avec une folle exaltation qu’on se laisse engloutir par ces vagues de fréquences, d’où émergent des beats, tantôt aussi lourds et parcimonieux que ceux de Mika Vainio (« Pocket Pussy »), tantôt ruff et housy (« Zaltan’s Jackets », « Body Control »). Ménageant à la fois l’ardeur fiévreuse du clubbing et le vagabondage mental, Low Jack tient jusqu’au bout cet équilibre précaire, achevant la besogne avec un « Fruit » à mi-chemin entre harsh noise et gabber, comme un clin d’oeil ironique aux free-parties de sa prime jeunesse. S’il n’atteint pas la densité et la complexité de ses Garifuna Variations (mais qui lui reprochera?), cet intermède radical-fun qui se danse les jambes par dessus tête laisse en tout cas augurer qu’il a plus d’un tour dans son sac, et qu’il est loin d’avoir tout déballé. De là à ce qu’un tel boulet de canon devienne le mètre-étalon de la dance music des années 2015, il n’y a qu’un pas que Low Jack aura été l’un des premiers à franchir.

En live ce soir à 20h30
avec Black Zone Myth Chant + Pied Gauche.
aux Instants Chavirés
7, rue Richard Lenoir, Montreuil (93)
Métro Robespierre