Jussi Björling (Canio), Victoria de los Angeles (Nedda), Leonard Warren (Tonio), Robert Merrill (Silvio). RCA Victor orchestra, Renato Cellini (1953)


Pagliacci sera l’un des événements lyriques-chics de l’été festivalier : ma main à couper que l’on trouvera à Ravenne les plus récalcitrants à la musique vulgaire, forcément vulgaire, de Leoncavallo… ils seront venus, ils seront tous là, pour entendre Alagna pousser son « Vesti la giubba » et le voir poignarder -ça changera un peu !- l’infidèle Angela. Côté « défonce » (pour reprendre le mot de M.Tubeuf, si, si !), on peut leur faire confiance, comme au maestro Muti pour alléger, dégraisser une partition qui n’est pas, c’est vrai, la plus subtile et la plus inspirée de l’histoire de l’opéra.

Opportuniste, EMI -qui gère décidément très bien sa grande boutique-, nous ressort, dans un son tout neuf, une version qui s’imposerait en tête de la maigre discographie existante, n’était Gigli, insurpassé, insurpassable. Passons vite sur les mérites limités du médiocre Cellini, qui sait -hélas !- ce que mélodrame veut dire : tout le second acte est pompier à n’en pouvoir mais… ce n’est pas ici, c’est sûr, que les anti-véristes primaires se réconcilieront avec cette musique.

Le contraste entre le chef et ses interprètes n’en est que plus saisissant : ces derniers seraient presque un contre-sens de distribution, une erreur de cast magistrale et géniale ! Björling, si digne, si bien élevé, qu’il n’osa jamais aborder Canio à la scène : pas du genre à tomber le masque, le ténor suédois -et encore moins à verser des hectolitres de sanglots façon Luciano… avec lui, on confondrait presque Leoncavallo et Mozart ! Le chant, rien que le chant, superbe, noble et pur, cet art légendaire du legato : bien sûr, les italianisants forcenés lui préfèreront toujours Gigli, Bergonzi (et demain, Alagna ?), mais quelle intransigeance dans le propos, et quel artiste ! Itou pour los Angeles, bien sûr, aristo jusqu’au bout des ongles, timbre d’ange et classe supérieure -l’anti-Nedda par excellence, mais la partenaire idéale de ce Canio-là. Quant aux deux autres noms –Warren et Merrill– ils parlent d’eux-mêmes, qui firent, avec Björling, les grandes heures du Met (et de RCA) dans les années 40-50.

Pagliacci est sans doute ailleurs, et ces quatre voix de rêve nous racontent sans doute (et malgré Cellini) une toute autre histoire : in fine, chacun y fera son miel…

Stéphane Grant