Tout commence comme dans un rêve enfantin un peu malsain, dont les fans de l’electronica anglaise sont forcément coutumiers depuis longtemps. Puis, comme dans un film hollywoodien un peu prévisible, tout se brise, et c’est une boucle de violons stridents façon Bernard Hermann qui vient expliciter l’inquiétude qui planait au-dessus de la petite mélodie tonale de l’ouverture. Une voix soul pointe, mais enregistrée semble-t-il avec autant de soin que celle de Bill Callahan sur les premières éructations et confessions de Smog. La comparaison pourrait avoir l’air poussive, et pourtant…

Ce qu’on pourrait prendre comme un énième album de pop électronique en provenance d’Angleterre un peu inoffensif, raisonnablement papier peint, a tout du brûlot vindicatif et autobiographique. Ce qui surprend en premier, c’est le son, terriblement approximatif et loin des formatages du mainstream à qui on voudrait vraisemblablement jeter ce disque en pâture (l’album était paraît-il déjà terminé quand les majors ont commencé à courtiser Leïla). Puis il y a ces voix soul mais écorchées, exultantes et exaltées mais si souvent fausses, suintantes et étouffées, qui vous sautent à la gorge comme le fit en son temps la voix de Martina, compagne de Tricky à ses débuts, à la sortie de Maxinquaye. A l’image de ses vocalistes -Luca, Donna, Roya (Arab, sœur de Leila)-, Leila compose une musique tour à tour irrévérencieuse, sale, provocante, et enchanteresse, soyeuse, troublante, douce-amère… Une musique en mouvement, changeante (se rappeler que son premier album s’intitulait Like weather, « telle la météo ») passant sans cesse du terrorisme à la tendresse, faisant même souvent fi des contradictions pour les faire cohabiter au sein de chansons-butoirs où les sens et les émotions sont mis à rude épreuve, éprouvés par toutes les températures, traversés par toutes les variations du spectre électromagnétique, des plus sombres et abyssales aux plus lumineuses et pastel.

Leila mélange la grâce de Plaid aux éructations dérangées de Super Collider ; elle assigne, en bonne descendante punk, des effets grossiers sur un sample de big band jazz en suspension pour mieux le désarticuler et le faire imploser ; elle mêle l’electronica la plus glaciale aux dérangements analogiques d’une platine à peine maîtrisée ; elle capture le bruit blanc d’un delay devenu fou pour lui faire chanter une chanson d’amour. Au final, les morceaux de Courtesy of choice demeurent avant tout insaisissables, habitant un no man’s land curieux entre electronica de rêve, soul meurtrière, musique d’un autre temps (en 78 tours…) et irrévérence sonore. Un disque à la fois abrupt et extrêmement séduisant, rebutant et évident, furieusement personnel. Entre cauchemar et paysages idylliques, tout un continent. Et Courtesy of choice comme un résumé presque idéal.