Jazz et electro, la partie continue. Après le carton hexagonal un brin excessif du dernier Saint-Germain, les amours house envoûtantes de la nouvelle formation de Julien Lourau et les bricolages inventifs de créateurs de tous horizons, c’est le pianiste transatlantique Laurent de Wilde qui se branche au secteur et, constatant avec d’autres que les temps changent, décide à quarante ans de s’y coller à son tour. Principe de la session : deux jours de jeux et d’improvisations acoustiques précieusement collectés par le maître de cérémonie au fond d’un disque dur, puis travaillés au corps en solitaire pendant des mois. La pâte musicale initiale est ainsi l’œuvre d’un quintet de base réunissant deux cuivres (Flavio Boltro et Gaël Horellou) et une paire rythmique (Paul Imm à la contrebasse et Stéphane Huchard ou Philippe Garcia à la batterie), auquel se joignent deux invités : Dana Bryant, black poétesse new-yorkaise déclamant une profession de foi progressiste et Minino Garay, ailleurs connu pour ses talents de percussionniste et ici sollicité pour sa voix sur Uno, un standard argentin en forme de festival rythmique.

De ces heures de musique, Laurent de Wilde a tiré la matière première du mariage tant désiré entre « ce qu’il aime depuis toujours et ce qu’il ne connaît pas encore », confession significative du grand point d’interrogation qui pourrait suivre le titre du disque et de la dimension exploratoire et initiatique du projet. On comprend dès lors mieux la foisonnante diversité esthétique du résultat, étonnant aimant musical attirant à lui toutes sortes de langages et de sons : drum’n’bass ou hip-hop, reggae ou funk, jazz jazz ou jazz pas jazz. De fait, cette intrusion massive de samples et de boucles house parfaitement conçus et agencés dans un univers tributaire du parcours classique du pianiste se révèle à la fois saisissante et séduisante : de Wilde n’oublie pas Monk (l’album s’ouvre d’ailleurs sur Shuffle boil, une composition de 1955) mais nage dans le sillage d’Amon Tobin, auquel il emprunte son goût des longues boucles en cascade. Si certaines parties semblent se perdre un peu, faute de direction claire, Time 4 change s’avère le plus souvent extrêmement convaincant, notamment dans l’utilisation de la cymbale et de la walking bass (Don’t axe me) sur un tapis de breakbeats. Assis entre son Fender Rhodes et son Power Mac, le leader va aussi reprendre son souffle du côté de Herbie Hancock, Horace Silver (Jungle hard bop, dit l’un des titres !) et Miles Davis, puisqu’il ne s’agit pas de « tourner le dos au jazz mais juste à un son trop typé ». C’est donc bien dans les bacs de jazz qu’on trouvera ce compact à la croisée des chemins, à l’exacte intersection du passé et de l’avenir, en véritable album du jazz d’aujourd’hui.

Laurent de Wilde (elp), Gaël Horellou (as), Flavio Boltro (tp, bugle), Paul Imm (b), Philippe Garcia, Stéphane Huchard (dm) + Dana Bryant, Minino Garay (voc)