Sous une pochette mastérisée à l’emporte-pièce, bat le cœur d’un possee éclairé et discret, loin de l’attitude tape-à-l’œil dont les médias sont devenus friands. Suite à leur participation au projet l’Avant-Garde (Assassin Productions), suivie d’un maxi éponyme annonçant l’émergence d’un hip-hop délié de ses ambitions commerciales, Hi-Tekk et Nikkfurie lâchent enfin dans nos bacs un premier album en forme de brûlot hardcore.
Si rien de bien nouveau ne vient chatouiller nos oreilles au niveau des thèmes abordés, il y a en revanche dans les mots de La Caution une identité propre, une vision aiguisée qui saisit les choses sur le vif avec une lucidité qui, elle, est nouvelle : point de frime et point de freestyle, pas d’humour non plus, mais une langue acerbe et violemment évocatrice, au service d’une description glaciale de l’univers urbain et des populations qui l’habitent. Soutenu par une musique sombre et lourde, Asphalte hurlante respire le béton, un béton brut et gris, un béton dont on ne se sort pas et qui enserre les pieds d’une génération baignée d’ennui : « Souvent, on parle d’avant/parfois on parle d’après/parfois ça parle d’argent/…/Parfois on est 40/Souvent on est tous seuls/…/Parfois ça s’entraide/souvent ça s’embrouille/Souvent ça galère sec/Tout l’temps, les rêves se rouillent. »

A l’opposé de ceux qui se revendiquent chaque jour plus hardcore que le voisin, Hi-Tekk et Nikkfurie ne parlent pas d’eux et ne se répandent pas en flans égocentriques. A force de Doc Gyneco en sandales et autres Stomy édulcorés, une vision complaisante a gagné les médias vis-à-vis du rap et plus généralement du problème des cités, qui fait aujourd’hui partie des meubles. Une certaine idée du hip-hop est devenue mainstream, faisant oublier à la société qui l’applaudit ses conditions d’émergence. Légitimement, Asphalte hurlante cherche à nous signifier que, sous la pointe dorée d’un hip-hop bon enfant, vivent une révolte, un torrent de misère, de larmes et de sang encore vivace, qui rugit une dernière fois avant d’exploser. Evocateur de cet état d’esprit, le titre Asphalte hurlante, chronique d’une vie de tensions et de violences, retranscrit l’électricité qui plane dans l’air de ces cités constamment sous surveillance : « La lumière des néons s’incruste dans mes rétines, svelte et crasseuse/Stationnent les CRS dans un bus de cancres hermétiques/Je respire cette atmosphère de haine épaisse et moelleuse. » On soulignera, au service de cette narration, la puissance de deux flows régis par l’urgence, capables d’aligner les allitérations avec une aisance déconcertante : « Le flic, un dos d’âne anodin, doté du don d’abattre au teint, dompté au tonneau de vin d’antan, pendant qu’le badaud meurt d’OD. » En fond sonore, les stridences de la vie urbaine, les sirènes et les bruits d’usine, soutenus par une musique électronique et sèche orchestrée par Nikkfurie et DJ Fab, apportent un souffle nouveau à la composition du hip-hop.

Le côté obscur du rap français ne plaisante pas. Il ne vise ni la réussite commerciale, ni les disques d’or, mais surgit devant nous, laissant exploser sa volonté d’en découdre définitivement. Reste un constat d’échec pour la société. Une rose noire a poussé à même le béton, conséquence directe de la macération d’une culture laissée pour compte trop longtemps et dont tout, même la colère, a été exploité. Asphalte hurlante remet en cause les sourires de Jack Lang face à Doc Gyneco, les médias qui voient en Joey Starr « un garçon détendu et goguenard », et laisse planer, au-dessus des cités françaises, un dangereux point d’interrogation.