Une certaine Nina Hagen dans la rubrique classique. En feuilletant le Baker (le plus sérieux des dictionnaires biographiques musicaux), on cherche en vain une dénommée Nina Hagen. Si elle y était, elle viendrait après un certain Francis F. Hagen, pasteur de son état, compositeur né à Salem, compilateur des très sérieux Church organist’s companion. Ca ne s’invente pas. La dame est, en personne, la pétulante rockeuse des années d’avant-guerre (du Golfe). On pourrait se demander ce qu’elle prétend faire dans une production classique. A priori, la hurleuse n’a rien à faire dans une musique apanage depuis longtemps des chanteuses à voix. D’autres égéries des temps passés se sont risquées dans un tel répertoire (genre Marianne Faithfull) et elles s’y sont fracassées.
Nina Hagen réussit ici son coup. Elle intègre allègrement une troupe homogène et retrouve l’esprit qui présida au projet Brecht/Weill. Elle accomplit l’exploit de se faire (presque) oublier et de retrouver la violence, la foi de cette musique savoureuse. C’est qu’il n’y a pas de lyrisme inutile dans l’Opéra de quat’sous.

Créée par des comédiens-chanteurs en 1928 (dont Lotte Lenya), la pièce évoque les faubourgs de Berlin, ses putes, ses truands. La musique -faite d’harmonies creuses, de récitatifs mi-parlés, mi-chantés, entrecoupés de complaintes et autres ballades- ne ressemble à rien d’autre. Elle a un caractère populaire et obtint d’ailleurs un succès incroyable à sa création (300 représentations). Malentendu, car le public bourgeois qui l’acclama passa à côté de la satire et de la violence du livret.
C’est l’esprit de troupe qui revient ici. Voix simples mais impeccables, textes réduits à un « résumé narratif de l’action » (donc efficacité absolue), sens dramatique de Sona Macdonald (Polly), de la prostituée Jenny (Timna Brauer) ou de Max Raabe (Mackie). Cette version s’impose de toute évidence comme l’égale de celle (historique) dirigée par Brückner-Rüggeberg (avec Lotte Lenya) chez DG. Une performance !