Amor 0 + 01 marque le retour du New-Yorkais Kurt Ralske, qui nous avait enchanté avec ses disques d’electro pop acidulée sous le nom d’Ultra Vivid Scene sur 4AD. Plus récemment, avec Cathars (un album sur Atomic Recordings, l’autre sur Miau Miau International), Ralske s’était aventuré dans le monde surpeuplé de la laptop music, exploitant en parallèle le logiciel vidéo NATO, et faisant partie de la deuxième génération de musiciens du glitch, au même titre que Oval. Il faut dire que l’animal a plus d’une corde à son arc : musicien, artiste vidéo, Ralske a composé neuf musiques de films dont Elements of a forgotten Merzbau (Kurt Schwitters) et Not a love song, récompensé par le prix de la critique au festival du film de Berlin en 1997.

Aujourd’hui, avec ce Amor 0 + 01 composé avec le logiciel Max/MSP sur un Powerbook G3, il s’aventure dans l’ambient dotée d’une âme et c’est plutôt réussi. Trois titres seulement, tout en progression, pas forcément très originaux, mais intéressants et même parfois beaux. Le premier, Amor 0 + 01, glisse comme le regard après les larmes et ressemble à du Biosphere qui ne MEGOte pas : nappes, dérapages, harmonies hésitantes et dépressives, sur un pouls au ralenti. Un joli morceau de délicatesse, mais dont on peut tout aussi bien retrouver l’équivalent sur, au hasard, les labels Morr ou Bip-Hop. Le second morceau, New Kyrie flotte en apesanteur pendant douze minutes et des poussières d’étoiles : Gas ou Biosphere, en comparaison, c’est Emerson, Lake & Palmer. Un beat sourd et distant vient parfois troubler l’harmonie des sphères. Idéal pour la bande-son d’un reportage sur les voyages interplanétaires. Enfin, le troisième morceau trempe l’auditeur dans ses trente minutes de plénitude absolue, rappelant fortement celle ressentie par Dave, l’astronaute de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Un monolithe, le temps, l’espace. De très lentes évolutions de son se font, comme l’histoire de l’humanité hyper-accélérée à l’intérieur des écouteurs. Evidemment, à la moitié du morceau, on peut aussi se dire que le new age, ça va bien cinq minutes (pas trente). Mais il n’est pas question de ça. Là où les seventies électroniques rêvaient de mandarine ou de paysages à la Dali, les années 2000 rêvent simplement de contemplation macro ou microscopique, parfois simultanément.

Le disque contient aussi une piste vidéo (Mac seulement -d’ailleurs toute l’esthétique de la pochette est très Mac), car, comme l’explique Ralske, « NATO me permet d’intégrer des programmes audio que j’ai écrits et de les modifier légèrement de façon qu’ils génèrent de la vidéo. Avant, j’utilisais NATO pour faire de l’illustration sonore. Maintenant, je l’utilise pour faire l’inverse. » Si on ajoute à ça qu’il cite James Gleick (auteur notamment de La Théorie du chaos – Vers une nouvelle science, Flammarion, 1991), on se dit qu’on tient là un disque de nerd… ? Pas du tout. Il y a une émotion réelle dans ces trois morceaux calmes que seul le travail d’un artiste peut faire cracher à une machine qui fait tourner un software. Idéal pour les nuits chaudes d’été sans nuages… Et pour surprendre les anciens fans d’Ultra Vivid Scene !