Tandis que dans les bacs des disquaires fleurissent chaque mois ou presque deux ou trois nouvelles jeunes divas éphémères vendues à grands renforts de publicité et de photographies avantageuses (certaines, chance, frais minois et budget promotionnel aidant, accédant parfois à un énigmatique succès -Lisa Ekdhal ou Norah Jones pour les cas les plus caricaturaux), le rayon « chanteurs » reste relativement confidentiel et rare en perles. Une raison, parmi bien d’autres, pour ne pas manquer ce Kurt Elling auquel une poignée d’albums ont su donner une réputation solide et que ce Man in the air impose comme l’un des plus notables chanteurs de jazz actuellement en activité, à tout le moins comme l’un des plus ambitieux.
Il faut en effet une sacrée dose de culot pour mettre en mots le fameux Minuano du Pat Metheny Group et en donner une version introductive de près de huit minutes sans faire regretter une seule seconde l’original, pourtant insurpassable (Paul Wertico y tient même les baguettes !) ; parce qu’il s’approprie totalement les thèmes sur lesquels il écrit et parce qu’il en donne des versions à la fois très personnelles et curieusement fidèles, Elling remporte son pari et donne un disque en tous points remarquable, servi au demeurant par d’excellents musiciens (Rob Amster, basse ; Frank Parker Jr, batterie ; les excellents Stefon Harris, vibraphone et Laurence Hobgood, piano ; Jim Gailloreto, saxophone). Joe Zawinul (Time to say goodbye), Herbie Hancock (A Secret I), Bob Mintzer (All is quiet) sont ainsi passés au tamis littéraire et vocal d’un chanteur dont on appréciera la diction tranchante et l’impeccable justesse (même dans les passages les plus acrobatiques), tout en regrettant de ne pas l’entendre se laisser aller à des contextes parfois plus intimes ; l’apothéose est atteinte avec une reprise fulgurante du Resolution de Coltrane, défi extraordinairement casse-gueule dont le surprenant Elling se sort avec un admirable brio.