Le Kronos Quartet, en activité depuis 1973, fait l’actualité une fois par an en France, lors de son traditionnel passage au Théâtre de la Ville. Mais l’événement cette année c’est la sortie de Caravan, nouvel album voyageur à compter parmi ses plus grandes réussites.
Lorsqu’une formation ne compose pas et se dévoue entièrement à l’interprétation, c’est par son répertoire qu’elle s’exprime. La trentaine d’albums du groupe montre à quel point il se bat pour une musique vivante et ouverte à toutes les influences. Bartók, Piazzolla, Zorn, Reich, Monk, Nancarrow, Hendrix, etc. ne sont que quelques-uns des compositeurs que le quatuor a servis. Cette fois le Kronos s’est fait nomade, puisant au Mexique, en Roumanie, en Inde ou au Liban des airs traditionnels et contemporains. Le disque reste très cohérent malgré toutes ces nationalités, peut-être grâce à l’Argentin Osvaldo Golijov, qui a arrangé avec panache la plupart des titres. On y trouve en tout cas une fluidité et une chaleur que le groupe, parfois pris dans la glace d’œuvres très complexes à jouer, n’avait encore jamais atteinte.

Avec Gloomy sunday (chanson hongroise du suicide) ou Canção verdes anos et Romance N°1 (du Portugais Carlos Paredes), on est submergé par une beauté sans retenue qui marie tristesse et plaisir. A l’opposé de cette douce saudade, on dirait sur Turceasca que Kusturica a débauché nos virtuoses et leur a collé deux accordéonistes gitans et un contrebassiste à trente doigts pour nous faire danser. Et ça marche ! La cavalcade se fait plus épique le temps de Gallop of a thousand horses (de l’Iranien Kayhan Kalhor), porté par un kamanchech, crin-crin courbé dont le son aigu ouvre le chemin. Une pause pour méditer en plein désert, bercés par la ney (flûte arabe) d’Ecstasy. Jennifer Culp, la nouvelle violoncelliste, s’illustre sur le rythme chaloupé de Aaj ki raat, bijou indien avec Zakir Hussain aux tablas. Citons enfin deux morceaux un peu à part : l’impressionnant Funeral march on Mount Diablo de Terry Riley, à la rythmique percussive proche du Zappa dernière période, et Misirlou twist, adaptation du Misirlou de Dick Dale, morceau surf remis à jour par Pulp Fiction dont l’origine orientale est ici bien exploitée.

Il existe d’autres formations de cordes larges d’esprit (Balanescu Quartet, Brodsky Quartet, Quatuor Arditti, Fleshquartet etc.), mais la détermination avec laquelle le Kronos Quartet explore chaque année de nouveaux horizons, révélant souvent des compositeurs inconnus, est sans pareille. On espère que toutes les oreilles curieuses se jetteront sur ce Caravan, surprenant et émouvant, puis dans leur œuvre de plus de 600 morceaux, qui offre une traversée unique de la musique contemporaine à travers le monde.