Après les très beaux disques de Joakim et Mu, l’excellent label Tigersushi poursuit sa recherche d’une histoire secrète de la future musique du XXIe siècle, avec ce vrai-faux bootleg, énigmatique et chamanique, monté par le duo végétarien K.I.M., aka Flokim Lucas, jeune coréenne, et Jimi Bazoukka, jeune inconnu (on devine cependant la patte singulière de Joakim Bouaziz derrière ce beau projet…). Cette compilation intitulée Miyage, mot qui veut dire « présent rapporté d’un voyage ; souvenir » en coréen, est en effet une belle collection de coquillages, ramassés le long d’un voyage éclectique, une pérégrination musicologique et par bien des aspects, psychédélique. Le disque promotionnel a d’ailleurs été envoyé sans tracklisting, accompagné d’une petite pilule sous enveloppe plastique, dont on ne saura jamais l’effet, réel ou symbolique, qu’elle aura eu sur nous autres auditeurs (Plastikman avait déjà eu cette étonnante idée de packager son premier album par une tablette de petits buvards, possiblement imprégnés de LSD, et une légende était née). L’album de K.I.M. s’amuse aussi à prendre l’auditeur au dépourvu, en prenant le contre-pied des bootlegs d’aujourd’hui du type 2ManyDjs ou richard X, dont la recherche d’efficacité passe trop souvent par une certaine médiocrité (au sens donné par Baudrillard, l’esprit de compilation s’adressant aux goûts moyens). Ici, les morceaux sélectionnés ne sont pas forcément dansants, ne sont pas forcément connus, mais témoignent d’un parcours musical et mental, subjectif et simplement humain, se donnant le droit d’arrêter une piste après quelques secondes seulement, pour l’enchaîner à une autre avec pour seule intention de produire un discours singulier, un parcours inédit, une invitation au voyage.

L’album débute par la sirène d’un bateau en partance, faisant signe vers l’exotica toute en textures percussives de Arthur Lyman ou la naïveté mélodique et rythmique de Moondog (qui est également connu, rappelons-le, pour ses duos avec le sifflet du Queen Elizabeth, paquebot amarré dans le port de NewYork dans les 50’s). De l’idiotie en boucle de Moondog à la musique tintinnabulante de François de Roubaix (compositeur de BOF des 70’s, notamment du générique culte de Chapi-Chapo, et maître de la musique d’illustration, précurseur de la musique électronique d’aujourd’hui), c’est un départ en beauté depuis l’enfance de l’art jusqu’à des plages plus granuleuses : Asa Chang & Jun Ray (pour un titre exotique et électronique, magnifique en rebondissements), Wevie Stonder ou Un Drame Musical Instantané, et plus loin de nous dans le temps, le Gun Club ou Psychic TV, ainsi que les morceaux de l’entité K.I.M. même, déroulent un paysage où souffle mystique et magie blanche (ou noire) font alliance et accords parfaits. Ainsi la Piaf chante-t-elle Jezebel (« Les souvenirs que l’on croit fanés / Sont des êtres vivants / Avec des yeux de morts vibrants encore de passé »), insufflant de l’héroïsme fantastique à cette inquiétante étrangeté générale. Musique de fantômes, musique de chamanes, ce sont bien ses caractéristiques transcendantes qui sont ici évoquées. On ne parle pas de tous les détours mystérieux que nous fait prendre cette belle addition de beautés multiples, à chacun d’y retrouver les siens. La métaphore du voyage, tellement facile à filer dans une chronique de disque, est pour une fois, la plus adéquate. C’est en cela que le sens mystique et le sens littéral d’une œuvre, parfois, se recoupent et s’additionnent. Bon vent.