Soyez prévenus d’emblée : l’auteur de cette chronique est totalement partial, et vous ne pouvez placer aucune confiance dans l’enthousiasme immodéré qu’il va afficher ci-après à l’endroit de ce Live in Leipzig. Parce qu’il a découvert le pianiste norvégien Ketil Bjornstad dans les années 1990 avec Water stories, un album fabuleux qui marquait son retour au jazz sous l’étiquette ECM après une carrière dans la littérature (qui continue, d’ailleurs) et la musique classique, et qu’il s’en est trouvé tourneboulé ; qu’il a passionnément suivi ses aventures au sein du quartet « The Sea » (avec le violoncelliste David Darling, le guitariste Terje Rypdal et le vétéran de la batterie jazz européenne, Jon Christensen), soit deux albums éponymes sublimes qu’il a dû écouter deux fois par jour pendant plusieurs années ; qu’il a ici même dit son enthousiasme pour Epigraphs, le deuxième volume (après le fabuleux The River) de la déclinaison en duo, avec David Darling, de ce quatuor ; qu’il a même été jusqu’à vanter à moitié The Nest, un album de Bjornstad qui, rétrospectivement, n’en valait peut-être pas tant, et qu’il ne regrette rien ; qu’il a lu et commenté dans les pages littéraires de Chronic’art le très beau roman classique du même Bjornstad paru l’an dernier (le premier traduit en français), La Société des jeunes pianistes ; et, last but not least, parce qu’il possède tous les disques du guitariste Rypdal, même les plus inavouables (les singles eigthies un peu ringards, dont certains utilisés par Mann dans la B.O. de Heat), qu’il en a d’ailleurs commenté deux dans ces colonnes et qu’il préférerait se faire crucifier sur place plutôt que de laisser quiconque en dire du mal.

Bref, vous l’avez compris : avant même d’avoir écouté ce Live in Leipzig, deuxième déclinaison duo du quartet « The Sea » après celle du violoncelle et du piano (The River et Epigraphs, donc, splendides, spécialement le premier), il était convaincu qu’il adorerait, et il ne s’était pas trompé. Et pourtant ! Pourtant, il faut bien être honnête une seconde : ce duo, donc, dont le répertoire est pour l’essentiel constitué de thèmes de Bjornstad joués sur les deux volumes de The Sea, complétés par quelques compositions de Rypdal et un morceau de Grieg, laisse dans l’ensemble une moins bonne impression que le quartet dont il est issu ; pour le dire autrement, si l’on voulait faire découvrir la galaxie complète à un néophyte, on commencerait plutôt par les albums en quartet. Reste que les qualités intrinsèques de ce duo sont évidentes : à l’amplitude et à la magnificence des disques en quartet, cette formation-ci oppose une atmosphère plus légère, plus dynamique, plus cristalline ; plus tendue, peut-être, aussi, en raison de la place majeure qu’y prennent les fulgurances électriques de Rypdal, sa sonorité railleuse et puissante, liquide, imprégnée d’accents rock, comme un cri d’animal aquatique (et c’est un compliment). Les thèmes exceptionnels (beaux à pleurer, soyons francs) de The Sea sont ici éclairés avec de nouvelles lumières, développés sous d’autres facettes ; la lenteur calculée du quartet fait ici place à une sorte d’urgence ludique, comme s’il fallait occuper à deux un espace prévu pour quatre, avec des moments de liberté inattendus, notamment de la part de l’austère Bjornstad. Qui, s’il ne swingue pas au sens propre du terme, décoiffe comme on ne l’imagine pas avec ses accords plaqués extrêmement rythmés dans le thème final, The Return of Per Ulv, déclenchant les applaudissements enthousiastes du public de la ville allemande. Et les nôtres. Mais vous vous y attendiez, non ?