On dirait une compilation pour Ado FM, mais ce disque est bien le nouveau bébé de l’homme qui valait trop de millions. Cumulant les jobs, surtout ceux qui concernent les paparazzi (Voici et Voilà, GQ et Purple, Figaro et sa Madame, People, Variety, en font leurs choux gras alors qu’on s’attendrait plutôt à la voir batifoler dans les pages des canards musicaux) et les studios producteurs (les excellentes dernières prods pour le rappeur Common, par exemple), le rappeur / producteur rivalise avec son meilleur ennemi Pharell Williams pour la couronne du plus Louis-Vuittoné d’un monde (f)rappé qui ne brille plus que par ses diamants, au détriment de son contenu. Le rap lumineux des sudistes (Bun B & Pimp C aka UGK, Wayne et Jeezy, Slim Thug, Mr. Sche ou encore Three Six Mafia, pour ne citer qu’eux…) fait peur à la foule WASP, pas celui bien apprêté de Kanye bonbon. Mais même si en ce moment les petits amerloques blancs courent acheter les ultimes gâteaux de Memphis et Atlanta avec plus d’ardeur que ceux de New York ou L.A., il y a toujours une place pour le roi des fadaises. Si le sud séduit en masse, il ne met pas en avant un personnage mensonge, politiquement incorrect quand il le faut, politiquement propret quand il est faux. Un rappeur qui défend la cause des homosexuels dans le monde, porte du rose comme hier on portait du noir, et même si son flow est plus mauvais que celui du pire rappeur new-yorkais, il a (de) la classe. Il a des connexions dans la mode, pose avec Sliman et Marc Jacob, Lagerfeld et Christina Aguilera, produit en masse et se tape des délires à la Jésus-Christ pour MTV, en exclusivité pour la planète entière.

Pour son nouvel opus, il sample comme un pauvre diantre Daft Punk (le minable Stronger), s’intéresse aussi à Justice et la bande à Ed Bangers, après leur avoir chié dans la bouche pour lui être passé devant aux MTV Awards du meilleur clip l’an dernier. Le bougre a donc embauché leur graphiste vidéaste So Me pour posséder un bout de cette « New Post French Touch » qu’il complimente aujourd’hui dans les médias. Hélas, le résultat est pitoyable. L’album aussi. Il ne démarre jamais vraiment, en fait, cet album, mais flâne avec une nonchalance velléitaire. Pour exemple le chewing-gum Can tell me nothing coincé entre trip-hop pourri et rap pour enfant, clip pourri à l’appui. Une fraction de conneries qui pousse par la grande porte des phases innommables et usées jusqu’à la corde, tellement lasses qu’on a peine à les classer dans le dossier musical rapologique. Les accents et le phrasé de West se perdent dans les clichés piteux du saltimbanque qui est au centre de tout et de rien à la fois. Celui qui chante sans savoir si le public va rire ou pleurer, mais seulement pour qu’il avale ses paroles, ses paroles synthétiques et fluettes, son chorus dégueulasse qui mélange les sujets antinomiques. Et même ses basses ronflantes se voient mal agencées, tellement son flow est délavé. Kanye West n’est pas un rappeur mais un gentil garçon doué aux claviers. Ses instrumentations sont légères et douces quand il se prend la tête (l’intéressante prod de la tranche désopilante I Wonder). Il n’aurait simplement jamais du prendre un micro de sa vie.

En creusant fort et bien, on trouve quelques petites pépites, là où Kanye arrive à (se) poser en douceur, peut-être (sur)élevé par la présence d’un Lil Wayne en pleine ascension (le subtil Barry Bonds feat Lil’Wayne). Et puis après tout, Monsieur K. se pose lui-même en gros penseur, narcissique et tout (« My Head is so large you can’t stand behind me »), parle plus qu’il ne rappe, prêche plus qu’il ne le veut. Sur un titre comme Barry Bonds, tout amateur de phrasé remarquera l’énorme écart de niveau entre le rappeur Lil’Wayne, qui pousse la chanson plus haut que ne le veut le commerce, et son nouvel ami (« Nous avons plusieurs hits en arrière-boutique », a déjà gueulé Kanye chez MTV) qui s’y dresse en prédicateur du vide. On atteint continuellement le summum de la médiocrité en matière de rapologie avec West (l’horreur chamallow Flashing lights featuring Dwele) ou peut-être, tout simplement, un niveau ou l’auteur de Graduation se laisse aller à la facilité. Ainsi, un titre comme Drunk and hot girls aurait pu être une bombe si un Twista avait pris le micro, par exemple. Mais non. Kanye est le centre de tout et il a décidé que les chorus seront ici enchaînés comme des boudins de seconde catégorie (l’affreux Good life feat T-Pain, une imitation pétée d’un rap sudiste que West adule en vain). Ici, les synthétiseurs flegmatiques sont placés comme des coupes de cheveux payées 200 euros pour une soirée. Les voix pitchées font saigner les oreilles (le fâcheux The Glory, une gadoue où il est encore question de Vuitton et Versace, du Coran et des couleurs flashy, de Charles Barkley et du « game » dans lequel tout se perd et se gagne). On est très loin de la classe d’un producteur / rappeur type RZA. A l’instar des producteurs / rappeurs Alchemist, P Diddy, Scott Torch ou encore Timbaland, Monsieur West prend le micro mais ne réussit pas à le dompter. Ces gars devraient tous rester planqués derrière leurs machines. Alors maintenant que Kanye chie dans son froc et que tout le monde se demande si c’est mou ou dur, on a peine à voir quelconque intérêt dans cette mascarade. C’est de l’instantané que Kanye nous offre. Au moins, il a chié quelque chose : de l’express(o) américain. Il quitte aussi vite le monde des rappeurs que celui des salons de mode, se retrouve en rude concurrence avec les écrivains pour lesquels il produit ou qu’il invite (les albums de Sa-Ra, signés sur son label G.O.O.D Music, les inusables et talentueux Mobb Deep…).

L’auteur de Late registration qui – en comparaison – vaut du coup dix fois plus que cette nouvelle galette séchée) fait du végétalisme en beauté lorsqu’il chante à l’unisson, comme si We are the world était son hymne national (Homecoming feat. Chris Martin, une piteuse tranche de vie éclaircie où l’on parle un peu de gangs). Rien ne bascule ici. Kanye est entremêlé aux people de Paris et Londres, participe comme guest-star au propre tournage de son film-disque (chaque clip qu’il fait exécuter est auto titré « oeuvre d’art » par l’intéressé lui-même) dont les propos ne vont pas plus loin que ceux desdits people qui le fascinent et le côtoient. La pochette rosée est à l’image de la vacuité dont l’album essaye de se dépêtrer, excès feuilletonesque dont tout n’est qu’images, beats en plastique, où les choses n’existent qu’a partir du moment où Kanye les montre ou les fait filmer. Ambitieuse mais foireuse, toute cette cérémonie de pacotille finit en pleurs avec Big brother, ne chasse d’eau où les guitares sont aplaties par des déluges de synthés sortis tout droit de la série Buffy & les vampires. Graduation est hasardeux et putassier à la fois, pire qu’un gâteau que l’on mange obligatoirement car c’est celui du marié. Parce que de l’autre côté, la mariée en robe Prada pleure une fontaine, prend une bouchée et dégueule. Les essences de ce disque inutile ne misent pas en premier lieu sur une ou deux qualités artistiques, une certaine vision, voire une visée. Malheureusement… Car West est indéniablement doué à la production. Mais lorsqu’il est seul au manette-micro, c’est plutôt les couleurs, les clichés et le premier degré boursouflé d’egotrip mal mené qu’il pousse à fond. Voilà juste une graduation de plus vers l’infiniment mauvais, là où l’on enfile les rimes errantes et les beats à dix centimes d’euros. Une bouse comme si le pire des avocats déchus se mettaient à écrire des essais sur l’Egalité Des Droits De l’Homme Dans Le Monde.

Etre K.W est pourtant un droit inaliénable. La Kanyewesterie semble indispensable à l’équilibre du rap, voire à sa survie dans les charts. West est quasiment un contre-pouvoir à lui tout seul. Avec Pharell et Jermaine Dupri pas loin, ou encore P Diddy caché derrière un Magnum Moët en caoutchouc, il fait office de moralisateur du grand saut dans le vide. Un vrai contre-pouvoir qui ne se frotte que rarement au relent de la rue. Ce contre-pouvoir contre le rap d’en face qui n’aime pas les homosexuels (c’est-à-dire 95 % des rappeurs américains) ne participe-t-il pas à la dégradation du Noir américain dont il parle lui-même ? « Georges Bush don’t like black people » est la phrase-clé pour comprendre le monde de Kanye. C’est cette phrase qui restera dans l’histoire, et non pas une de ses punchlines (in)existantes.

West est à l’image même du noir au sourire ultraviolet, celui que l’homme blanc affectionne dans une société du spectacle où la consommation passe par la masse-people. Peut-être que c’est autre chose. West a, après tout, tout à fait le droit de profiter de son statut de producteur de renom lorsqu’il joue avec ses amis talentueux (Jay-Z et Common en premier lieu), pour ainsi, et ensuite, se mettre à poil en rappant comme un escargot sans coquille, une limace dont personne n’a le droit de contester la présence. Et puis c’est pour la bonne bouche et la bonne couche du peuple que la chansonnette est poussée par celui qui fait la une de la presse fashion de son temps. On se fout moins de sa gueule que Britney Spears. On ne l’insulte même pas, on adule sa glorification de la connerie. L’intro Good morning témoigne largement du manque de recul de Monsieur West. Des phrases comme « I’m like a fly Malcolm X, like any jeans necessary » témoignent de la petitesse des cellules grises de cet être au sourire de cheval. A la place des moyens et de la force que prônaient celui qu’il cite (Malcolm X) pour que le peuple noir se déroule un nouveau visage (suivi de très près par des gens comme Dead Prez, Immortal Technique, Public Enemy, ou encore Killah Mike appuyé par Outkast), l’Amérique judéo-chrétine préférera toujours un maigrelet comme Kanye, habillé en incolore, citant X en déformant sa pensée pour y placer une référence sur les Jeans GAP. La mode est en action dans le rap. Et tout cela, West le fait le rictus aux lèvres, à la fois vulgaire et réjoui. Une merde dorée sur laquelle tout le monde va marcher.