Joseph Haydn est-il vraiment le père du quatuor à cordes, de la forme sonate, ou encore de la symphonie ? Certainement pas. La légende est tenace mais l’histoire nous renvoie les noms de Johann Stamitz, de ses collègues de l’école de Manheim, et celui de Luigi Boccherini. Peu importe si Haydn ne fut qu’un suiveur, il n’est pas le seul génie à avoir recueilli les idées du moment (si personne ne se souvient des nocturnes de John Field, ceux de Frédéric Chopin sont toujours beaux à pleurer). Il n’est pas l’inventeur du quatuor à cordes, il en est le créateur. Car la profondeur et la subtilité de la musique de « papa Haydn » (pour ses intimes !) sont uniques, et son humour marque toute son œuvre, toute sa vie.
Ainsi, Haydn reste à nos oreilles celui dont l’œuvre résume le mieux l’esthétique classique. Mesure, Nombres et Ordre. Tout un programme ! Il rejette les « artifices baroques », et cherche à idéaliser les passions humaines. « Les passions, violentes ou non, ne doivent jamais être exprimées jusqu’à exciter le dégoût, et la musique, même dans la situation la plus terrible ne doit jamais offenser l’oreille » écrivait Mozart à son père. Comment mieux résumer l’esprit qui pénètre ces Trois quatuors opus 17 ?
Haydn a 39 ans lorsqu’il les écrit. C’est un homme célèbre, son style est libéré de toutes les contraintes qui entravent les compositeurs de son temps. Mais ce n’est pas un homme libre. Au service des princes Eszterhazy depuis dix ans, il vit dans un petit Versailles à 300 kilomètres de Vienne et doit composer à une cadence inouïe deux pièces lyriques par semaine… Eszterhazy est un protecteur des arts mais c’est aussi un tyran… traitant Haydn comme un dieu et comme un domestique (Il y restera 29 ans…).
L’enregistrement que propose les quatre membres du quatuor Kodàly est exemplaire : ils ont senti les paradoxes de cette musique. Équilibre, mesure, mais aussi mordant et luminosité (dans le premier quatuor), virtuosité (dans le deuxième), pathos et élégie (dans le quatrième). C’est pur et solide, d’une justesse impressionnante. Ensemble depuis 1966, ils sont la preuve que le temps grandit une formation. Aux côtés du quatuor Takàcs, ils continuent la tradition austro-hongroise portée jadis (avant le Web…) par le quatuor Vègh au plus haut niveau. On s’en réjouit.