Joseph Haydn n’est pas un passeur. Plus que le transformateur des grandes formes musicales classiques, c’est un compositeur subversif. Au-delà d’une tradition artistique faite de curiosité, de maîtrise des formes, Haydn, c’est l’imagination au pouvoir. Alors comment lutter contre la formule « papa Haydn ». Comment expliquer que cette musique n’est pas la caricature ennuyeuse de la « musique XVIIIe » qu’on présente, coincée entre Bach et Mozart ? L’académisme qu’on lui colle à la peau lui est en fait étranger, et il faut sans cesse rappeler son titre : créateur (après tout Joseph Haydn n’est pas Théodore Dubois).
En écoutant ses sonates issues de l’intégrale que propose Ronald Brautigam, on comprend ce qui caractérise sa musique, ce qui la valorise par rapport à d’autres novateurs de son temps : Bach (Carl Philip Emmanuel), Wagensiel ou Stamitz. On suit l’évolution qui mène Haydn de la suite -de danses- baroque (Jean Sébastien Bach, François Couperin ou Jean Philippe Rameau) à la sonate beethovénienne. En 75 ans, il expose, développe 62 sonates pour le clavier. Pour le clavecin, le clavicorde, le piano ? Cela n’a pas vraiment d’importance. Haydn connaissait tous les instruments de son temps, et, souvent, ne précisait pas l’instrumentation (c’est une tradition de plusieurs siècles, le compositeur fournissait la musique seule et laissait de nombreux choix aux exécutants).
Ce qui importe dans cette musique c’est le sens du théâtre. Le goût du drame, la verve qu’elle contient. La difficulté fondamentale d’interprétation est là : comment ménager les effets de surprise ? Comment éviter l’atmosphère compassée, l’académisme ? Le pari de Ronald Brautigam dans ce début d’intégrale, sur un piano-forte qui sonne bien (grande réverbération du son tout de même), c’est de faire jaillir la vie. De s’amuser (vivace de la 53e sonate, rondo de la 58e !) et nous avec. Rares sont les interprètes qui cultivent un tel sens de la phrase, de son caractère quasi improvisé, des ornements. Cinq sonates des années 1780, cadeaux de mariage pour Marie Eszterhazy ou œuvres indépendantes, cinq épisodes délicats, émouvants ou juvéniles. 1999, deux cents ans plus tard et pas une ride. On verra 62 sonates plus loin -plus que Beethoven et Mozart réunis- que Haydn mérite mieux que son image de (pé)père de la musique classique.