Pour ceux qui l’ignorent encore, John Frusciante n’est autre que le guitariste des Red Hot Chili Peppers. Un petit retour en arrière s’impose : du haut de ses 29 ans, Mr Frusciante a déjà un passé musical imposant. Il intègre le combo californien au moment où celui-ci va devenir incontournable, c’est-à-dire en 1989, à la sortie de Mother’s milk, album qui fera des Red Hot l’un des groupes rock les plus importants de la scène rock. Viendra ensuite Blood sugar sex magic en 1992, et c’est là que Frusciante posera ses empreintes. Mais la fin de la tournée mondiale du groupe verra John Frusciante déposer les armes : ce dernier traverse une dépression dont la cause officielle sera la « fameuse pression qui découle du succès que rencontrent les groupes ». Finalement, la vraie raison de son départ -on l’apprendra plus tard- est à mettresur le compte d’une addiction aux drogues devenue trop envahissante pour le guitariste prodige. Résultat : quasiment six ans de pause (il sera remplacé au pied levé par Dave Navarro, ex-Jane’s Addiction, sur l’album suivant, One hot minute). Six ans durant lesquels John Frusciante enfantera deux albums solo expérimentaux sans véritable importance. 1998 marque le retour de Frusciante chez les Red Hot pour l’enregistrement de Californication et, du même coup, le groupe regagne ses galons pour ainsi dire perdus sur l’album précédent. En voulant réintégrer les Red Hot, Frusciante leur a tout simplement redonné vie.

Peut-on faire confiance à un artiste qui intitule son troisième album solo To record only water for ten days ? Oui, car ici l’eau dont parle Frusciante ressemble étrangement à une potion magique. Le bonhomme est toujours un peu torturé et hanté par des démons qui ne disent pas leur nom. Mais tandis que ses deux premiers opus proposaient un chemin inaccessible pour leurs auditeurs, To record… est une invitation à la découverte du monde intérieur du guitariste, dans tout ce qu’il a de plus ténébreux, mais aussi de plus ludique et presque joyeux. Avec Going inside, l’album commence à la manière de n’importe quel disque lo-fi ; on sent le minimalisme de la composition, mais rehaussé ici par l’indéniable technique et le souci mélodique du garçon. Un peu à la manière d’un Stephen Malkmus mal rasé, vêtu d’une chemise de bûcheron, John Frusciante construit ses mélodies avec nonchalance, sans jamais céder à des facéties techniques qu’il pourrait pourtant se permettre sans difficulté ; il ne faut pas oublier (même si lui s’évertue à le faire) qu’il est l’un des meilleurs guitaristes de sa génération. To record… ne ressemble évidemment en rien à un disque des Red Hot Chili Peppers, sauf peut-être, par moments, dans le son cristallin de la six-cordes.

Là où Frusciante sait être abrasif et efficace chez ses employeurs, notez qu’il préfère s’effacer derrière son instrument dans sa propre entreprise. On le sent faire de gros efforts pour pousser correctement la chansonnette… sans succès hélas. John Frusciante chante effectivement comme un guitariste à qui l’on n’a jamais demandé de chanter. Ce ne l’empêche pas d’être émouvant. Parfois même éblouissant, comme en témoigne cette incroyable minute de bonheur sur Ramparts, morceau instrumental de 69 secondes qui fait oublier tous les malheurs du monde. To record only water for ten days, de par ses penchants joliment mélancoliques et sa capacité à refaire surface entre chaque titres, a tout du disque intimiste et chaleureux.