L’association Abercrombie / Feldman semble être, plus que jamais, la ligne de force de ce nouvel album de John Abercrombie, le troisième (d’où le titre) dans cette formation après Cat’n’mouse en 2000 et Class Trip en 2003 ; plus que le travail remarquable de la paire rythmique Johnson (contrebasse) et Baron (batterie) en arrière-plan, c’est elle qui donne d’emblée le ton dans l’excitant Banshee, le morceau inaugural. « On peut dire qu’avec ce quartette, je joue plus librement que jamais, confesse le guitariste à propos de ce groupe qu’il a emmené en tournée dans toute l’Europe en mars et avril dernier. C’est en partie grâce aux musiciens, en partie une conséquence de l’instrumentation : les improvisations libres sonnent comme une sorte de musique de chambre et non pas comme du free jazz. Alors que le jeu est très libre et sonne souvent comme tel, il y a une part de cette musique qui s’inscrit dans un style plus traditionnel. Comme si plus ça jouait free, plus ça venait nourrir des styles de jeu plus traditionnels ». Jugement que les premières écoutes font partager, avec cette sensation, liée à l’instrumentation et aux couleurs très douces qu’elle donne à la musique, de se trouver à la croisée du jazz et de la musique contemporaine, entre improvisation et écriture moderne (avec ici ou là des échos d’Ornette Coleman, dont le quartet reprend d’ailleurs Round trip, l’autre reprise avec Epilogue de Bill Evans).

Cette constatation faite et l’extrême délicatesse de l’ensemble mesurée, force est toutefois de reconnaître qu’on peine à se passionner pour cette musique qui, malgré son caractère savant et les moments de grâce à quoi elle aboutit parfois, paraît pour ainsi dire dénuée d’accident, parfaite jusqu’à l’uniformité, polie jusqu’au lisse et, souvent, jusqu’à l’ennui ; on y trouve sans doute de l’intérêt si l’on tend vraiment l’oreille, mais l’effort demandé est excessif pour être fourni d’un bout à l’autre d’un album auquel, pour le dire métaphoriquement, on trouve un peu le même genre de défaut qu’à un roman si soucieux de la perfection de son style que l’histoire serait reléguée en arrière-plan. C’est un peu cela, The Third quartet : un disque splendide mais lénifiant, à quoi il semble manquer une ligne directrice, une colonne vertébrale, des articulations plus sensibles à l’oreille. Restent de beaux échanges entre la guitare pointilliste du leader et le violon de Feldman, bousculés parfois – rarement – par le jeu de batterie bruissant mais terriblement discret de Joey Baron. Les inconditionnels d’Abercrombie feront peut-être l’effort d’acclimatation nécessaire. Les autres peuvent préférer l’un de ses précédents albums, y compris dans cette formation.