The Milk eyed mender est sans aucun doute l’album le plus étonnant qui soit paru en ce début d’année. Peu de disques peuvent prétendre à cette alchimie inouïe, située à l’exacte jonction entre tradition et modernité. Peu d’artiste peuvent se targuer de faire autant d’effet sur leur auditoire, de la stupeur nerveuse provoquée par la première écoute à l’évidence poétique qui frappe dès la première seconde. Les chansons de Joanna Newsom ont l’immédiateté et la simplicité des antiques standards folk américains que l’on trouvait dans l’Anthology of American folk music (une somme légendaire compilée par Harry Smith) et la majesté écorchée de ceux qui ont embrassé, ensuite, cette voie, de John Fahey à Smog. Dès que l’on se penche sur le cas de cette californienne de 22 ans, on comprend vite que l’on a à faire à une personnalité d’exception : Will Oldham déclarait récemment qu’elle était une de ses « conteuses » favorites… Et l’on sait que Mr Palace s’y connaît en histoires envoûtantes. Ici, on pense en particulier au Daniel Johnston de 1990, à cause de cette économie de moyens si enrichissante, à cause aussi et surtout de cette voix unique, semblant tout autant émaner d’un enfant apeuré que d’une vieille personne ayant vu trop de choses au cours de sa pauvre vie : I was living in a devil town

Les douze chansons -comptines, serait-on tentés de dire- de The Milk eyed mender assoient leur magie sur deux artifices spartiates : tout d’abord, une harpe de concert, que Joanna Newsom pratique depuis l’âge de 8 ans, et dont elle tire une gamme de sons passant du dulcimer (Sadie ou Sprout & the bean) à la contrebasse (The Book of right-on) en passant par le xylophone (Swansea). Et puis, plus spectaculaire encore, une voix nue faisant des montagnes russes insensées, qu’on pourrait, par erreur, comparer à celle de Bjork : il faudrait alors imaginer l’Islandaise hurlante amputée de tout son fatras technologique rutilant et débarrassée du désir d’impressionner, démonstratif jusqu’à l’écoeurement, qui fait son pain quotidien. L’accent rustique de Joanna Newsom, immensément « roots », et qui confère un surplus d’âme à cette voix, perchée entre innocence et étrangeté, la rapproche plus sûrement d’icônes vocales plus anciennes : beaucoup de Karen Dalton, un peu de Billie Holiday…

C’est sans aucun doute ce qui fait la force de Joanna Newsom : elle semble ne mettre aucun filtre entre son monde, peuplé de fantaisie et d’étrangeté, et nous. On adhère sans méfiance aux histoires, plus ésotériques les unes que les autres, que Joanna laisse échapper de son casque auburn : Sadie, pour ne citer que celle-ci, tourne autour d’une abracadabrante histoire de talisman censé éloigner la mort… N’hésitant pas à forger parfois quelques néologismes, elle sait aussi rester habilement loin du folklore new age dans lequel se sont perdus des groupes comme Dead Can Dance. La production limpide de Noah Georgeson, déjà responsable du son de The Pleased, son ancien groupe, sous influence Roxy Music / Only Ones, y est certainement pour beaucoup aussi : il sert intelligemment le propos et on sent la prise de son directe, l’absence totale d’overdubs (à la seule exception des choeurs Kate Bushiens de Peach, Plum, Pear…) qui ne sont malheureusement plus au rendez-vous dans les dernières livraisons officielles du frère Daniel Johnston (le massacré Fear yourself).

Joanna Newsom a été vue accompagnant les tournées de Bonnie Prince Billie, Catpower ou Devendra Banhart, ses prestations laissant le public stupéfait par cette rencontre inédite entre musique indienne des Appalaches, Bluegrass bien digéré et indie culture. Elle oeuvre également au sein de Nervous Cop aux côtés de Greg Saunier (Deerhoof) et Zach Hill (Hella). Découvrez au plus vite cette fée aussi désarmante qu’ensorcelante.