Metteur en son numéro un du label Anticon, responsable de quelques excellents disques sortis ces dernières années (The no music de Themselves, 10 seconds de lui-même…), Jel évolué aux marges de la production rap classique. Orfèvre de la névrose harmonique, expert en boom-bap torsadé, il est le sorcier du siècle passé : celui qui se penche encore sur les crépitements hasardeux de sa SP-1200 à l’heure où le monde du rap bave devant le processeur Triton qui équipe les claviers Korg. Sous perfusion old-school dès son plus jeune âge, Jeffrey Logan est devenu lui aussi, au même titre que ses mentors RZA, Pete Rock ou le Bomb Squad, un maître de la SP, à laquelle il rendait hommage il y a quelques années avec le sublime 10 seconds. Et au fond, il ne sait faire que ça : laisser grincer des samples en 8-bit sous des monceaux de rythmes crackés. C’est donc précisément ce qu’il fait ici. Mais il y a plusieurs manières de le faire…

Ni audacieux ni révolutionnaire, ce disque semble a priori juste bien foutu avec ses plaintes d’outre tombe, ses hululements hérissés de barbelés rythmiques, ses breakbeats semi-sauvages et ses cornes de brumes pour amplifier la dépression. Vapeurs trip-hop ou hip-hop cascadeur, Jel y sculpte ses instrumentaux à base de matériaux froids, de batteries rêches, de vagissements lointains et de samples de Public Enemy (WMD), déroulant de longues plages sur lesquelles il invite ses compères Yoni et Josiah Wolf (piano, basse et voix des disques de Why ?), Martin Dosh à l’orgue ou l’excellent Pedestrian, rimeur longtemps passé inaperçu au milieu des fortes têtes d’Anticon. Et s’il fait beau, il appelle sa voisine Stefanie Böhm qui vient chanter sur All around, genre de mélodie trouble qu’on écoute avant de mourir, hip-hop de blanc sans flingue ni couteau. Mais Stefanie a encore sommeil, bien sûr, alors ils prennent le petit déjeuner ensemble, un petit déjeuner hip-hop qui dure tout le jour (Breakfast all day). Jel trempe son joint dans le chocolat au lait et se met en colère, brusquement, à cause de tout ce fric après lequel tout le monde court. Ce fric que, de toutes façons, personne n’emportera dans sa tombe. Soft money

Il y aura toujours des gens pour dire que la beauté des disques de Jel est fuyante, qu’il faut l’apprivoiser, mais on sent bien qu’ici ce n’est pas le cas. La beauté de ces titres est bien trop bête pour qu’on se laisse avoir par ce disque qui ressemble à un gentil travail d’écolier. Soft money a comme un goût de dessert fromage-blanc-saucisse, pas franchement mauvais mais tellement loin d’être bon, avec ses nappes vaporeuses passe-partout (All day breakfast), ses faux mystères à base de sons pseudo-expérimentaux (No solution) et ses angoisses cinématographiques en toc. A part quelques décharges comme l’impitoyable Trashin’ ou l’apparition du vertueux Wise Intelligent (Poor Righteous Teachers) sur WMD, le contenu est mince. Et à travers Mislead, c’est 10 seconds qu’on veut entendre. Qu’on réécoute, même, au lieu d’écouter Soft money, pour se rendre compte à quel point ce nouvel enregistrement est dénué de parti-pris, d’idée, de folie. Les scratch sont bien posés, les samples ajustés, les beats carrés, c’est propre, c’est chouette. Et Jel est beau, aussi, avec sa raie sur le côté. Rien ne dépasse, rien ne bouge, presque. Avec ce disque, il va se taper au moins un 18/20, c’est super. Mais à trop écouter RJD2, il en a perdu l’essence, vendu sa folie contre une MPC et produit un nouvel album terriblement triste. On dirait de la musique d’hier, du trip-hop d’il y a une dizaine d’années. Un bon disque sur lequel on n’a pas envie de revenir. Curieux, non ?