Jega a commencé sa carrière en 1996 sur Skam, label electronica de Manchester dirigé par Andy Maddocks et Booth et Brown d’Autechre, avec une IDM qui se proposait surtout d’explorer les frontières les plus dansantes de l’electronica britannique, façon Squarepusher ou -zik. Sa musique, à forte propension drum’n’bass et electro, ressemblait surtout à une resucée ultra-énergétique de la musique de Mike Paradinas, où se télescopaient breakbeats furieux et nappes glacées tout droit tirées d’une film de guerre intergalactique. Paradinas signa ensuite le jeune poulain sur son nouveau label Planet , et Spectrum, premier album de Jega en 1998, proposait un univers toujours sous emprise -zik très prononcée, mais avec un certain sens de la mélodie et de la modulation sonore somme toute assez personnel.

Pour son deuxième album, bonne nouvelle : Jega a largué les amarres vers un continent musical inédit, et si on reconnaît certains éléments caractéristiques du jeune homme, ce sont ceux qui faisaient avant tout son originalité au sein de la communauté IDM britannique dès ses débuts : une obsession pour les vieilles rythmiques electro hip-hop, comme base rythmique, et un goût prononcé pour les mélodies introspectives façon film noir futuriste. Tout le reste a changé : exit la drum’n’bass, décidément en chute libre de popularité, bienvenue aux constructions rythmiques les plus audacieuses ; bienvenue également à tout un attirail de bruits sophistiqués, souvent à la limite du boucan post-digital (synthèse granulaire, saturation numérique, jeux de filtres ultra-sophistiqués, textures accidentées…). Le résultat est tout bonnement ébouriffant, sans jamais tomber dans des travers démonstratifs de programmation ou de « logicielite aiguë »…. Les fondements mélodiques évidents sont souvent écartés au profit d’ambiances équivoques plus abstraites : quand la mélodie se fait centrale, c’est qu’elle est admirable (Geometry, Inertia). Le plus impressionnant restant l’impressionnante faculté du jeune homme à sublimer ses constructions atypiques de rythmes et de sons futuristes en des mini-odyssées ultra-vitaminées aux lourds relents funky (Rigid boy dynamics), conservant ainsi un lien explicite avec la dance music britannique dont l’IDM demeure un parent dépendant. Ainsi, ça reste souvent bourrin, à la limite de ce qu’on appelait il y a quelque temps le breakbeat… avec un je-ne-sais-quoi de rigueur et de recherche (super)sonique en plus. Au final, Jega est dorénavant un talent unique de l’electronica britannique, avec lequel il faudra compter. Et ce deuxième album est un petit bijou de pop électronique moderne.