Il en aura fallu, du temps, à votre rédacteur, pour le digérer celui-là. Un sacré morceau. Un sacré travers. Un truc dans le visage, pas voulu. Premier contact, Utopia, maxi étonnant mais pas conséquent, énorme gimmick Autechre-esque gonflé à des harmonies soul, produit clinquant mais étonnant, puis franchement gonflé tout court, quand la machine s’écrasait sur un tapis de choeurs façon The Sound of music. Le rédacteur aimait, pas mal, il disait quand même, bon nerd, « il a tout pompé à Chris Clark », et puis merde, Autechre, merde. Vous voyez, il passait son temps à s’énerver sur tous ces clones pas doués qui faisait la même chose, en pas bien, comme une mauvaise grippe, il y avait même un tas de labels spécialisés, « nous ne faisons qu’un seul genre de groupes, les mauvais clones d’Autechre », il allait laisser passer celui-là parce qu’il était sur… Barclay ; et puis parce qu’il venait de la house filtrée merdique, non quand-même. Pas parce que le morceau était bien, bien, super bien même (ça bataillait dans la tête du rédacteur). Quand même pas.

Hop, trois ans après, on ne savait même pas qu’il travaillait pendant ce temps-là. Jackson sort son album, met Utopia en premier dessus. On réévalue immédiatement (on n’a pas écouté d’IDM depuis bien longtemps, doit-on dire), il y a tout ces plics et plocs, ces jolis détails qui éclatent sur les parois de gros rythme, on ne les avait pas entendu avant. La mélodie est pas mal, quand même. S’ensuit : un découpage de détails rock, funky, une voix fantomatique, un synthé Detroit, le plus beau pied entendu depuis longtemps – on ne comprend pas bien ce qui se passe. Ca prend. Rock on est, au premier abord, le track le plus nasty depuis le Jag des Micronauts, ou quelque chose comme ça. Jusqu’au premier break, ou une guitare, un ukulélé, un rhodes (tout en même temps), emmènent le jeu bien, bien plus loin. C’est super beau. On passe vite, comme dans une galerie en verre, on a peur de tout casser, on aimerait pourtant passer des heures à tourner autour pour comprendre les détails. Et puis, non-stop -la vindicte conquérante d’ Arpeggio, ses arpeggiateurs mous qui rendent fou (on les a entendus chez les italiens de D’Arcangelo, s’offusque un nerd, dans un coin, qui tape nerveusement du pied, voyant bien que ça ne sert à rien) ; les explosions grandioses, jamais sales, de TV dogs, avec Mike Ladd qui déclame dans une reverb parfaite ; les enchevêtrements infinis qui tapissent la sci-fi dévastée de Teen beat ocean ; les écrasants groove de Headache et Radio caca, qui démolissent 10 ans de French Touch à grands coups de marteau dans la gueule ; les événements esthétiques fabuleux à la surface de Tropical metal.

La surface, c’est le premier lieu, celui où se passe une bonne partie de ce qui rend Smash si séduisant. Sur les murs des beats, entre les briques, un liant magnifique, un semi-solide mou qui fait montre du talent unique, obsessionnel de Jackson Fourgeaud ; ses alliages, collages, constructions, comment les épeler, se rencontrent sans jamais se dissocier, s’encastrent dans une sorte d’absolu de maîtrise techniciste (chaque fragment est aplati, poli à l’equa puis à la compression, de manière fascinante) qui souligne, avant tout le reste, la clarté de la vista du parisien. Oui, un garçon avec une vision. Un vrai obsédé, par son truc à lui, à lui seulement (ça s’entend, la concurrence, il s’en tamponne). Vous me direz, ouais, la forme. C’est bon, la forme, on a compris. On veut du contenu. C’est pourtant par-là que la musique avance en premier, depuis toujours ; ici, production et idées formelles fusionnent jusqu’à emballer tout le reste, à accélérer la perception, à alimenter l’esprit avide de mélodies ou de groove. Qui finit par se faire happer, plus vite que la lumière, dans le bric-à-brac complètement baroque et pas moins fascinant des mélopées magiques des chansons (on a changé de catégorie, là), dans les panoramas rétrofuturistes, oniriques, flippants, qui s’ouvrent, en grand, à chaque envolée d’arpeggiateur de synthé. Les collages baveux de ce disque feront date, croyez le rédacteur, jaloux comme pas deux, et la manière dont ils propulsent les éclats mélodiques et les ambiances fabuleusement tordues dans un grand tout très, très visuel ne les verront pas exploser en plein vol.

Il faut bien avouer, en dernier recours, que le rédacteur, ébloui, pensait se fatiguer bien vite de ce trop plein trop bien pour être vraiment bien, bien ; et puis, deux longs mois plus tard, il s’étonne à toujours aussi souvent y revenir, dans les galeries en verre évoquées ci-avant, sans toujours vraiment rien comprendre. Cette petite saloperie de Smash est infinie en bouche, en plus. Que reste-t-il à en dire ? Jackson Fourgeaud est un petit bâtard. Smash est, doublement, l’album de musique électronique de 2005, et, ça sert à rien de râler, l’album français de 2005.