1962-1964… Jackie mcLean… Toute une époque ! On serait tenté de décerner les « five stars » de Chronic’art à quasiment tous les albums conçus par le saxophoniste alto et compositeur Jackie mcLean lors de son état de grâce coloré en bleu qui dura un peu plus de deux années. Etat de grâce, état grave ! Quel blues ! Quelle inventivité ! Quels thèmes ! LE second souffle du bop après sa psychanalyse ! Un bop mûri, changé, plus sombre, modal et presque abstrait mais toujours réchauffé par un blues omniprésent. Jackie mcLean s’est trouvé au cœur d’un mouvement initié par des mutants qui, à côté du free, ont souhaité explorer ou redécouvrir des matériaux existants, les transposer sur des rythmiques plus complexes et souvent combinées, convaincus qu’il y avait bien des manières nouvelles de dire et que cet état d’esprit, l’ouverture vers une musique d’improvisation dans laquelle les contraintes se multiplient, était la voie à suivre.

Les résultats chez Blue Note ont été dans l’ensemble incroyables, outre le présent opus : le mcLean de Let freedom ring et de Destination out ; Eric Dolphy et son fabuleux Out to Lunch ; Grachan Moncur III sur Evolution et quelques autres. Cette musique aux couleurs nouvelles s’est appuyée sur des artistes visionnaires quant aux possibilités d’expression de leurs instruments. L’idée commune à toutes ces réussites est sans doute de se passer du piano pour permettre aux autres instruments, la basse, la batterie, le vibraphone d’occuper l’espace sonore autrement, chacun avec ses moyens. Horriblement difficile ! A moins d’avoir sous la main Eddie Khan (basse), Tony Williams (batterie) ou Bobby Hutcherson (vibraphone). Tony, le Mozart de la percussion qui émoussera plus tard sa finesse de jeu dans un style rococo et parfois pompier, est ici au sommet de sa créativité (il n’a pas encore fêté ses 20 ans), relançant continuellement le jeu. Il reste l’élément commun à tous les chefs-d’œuvre rappelés ci-dessus à votre bon souvenir. Les compositions de l’album sont souvent des blues et créent un résultat fascinant d’écriture d’arrangement et d’improvisations. Un seul exemple : Frankenstein la valse étrange et ironique écrite par Grachan Moncur III. Jackie mcLean n’a pas fait mieux depuis mais qui, en somme, a su porter si haut cette musique en ouvrant des perspectives créatives infinies aux côtés de Miles, de Coltrane et de Monk ?