Rappelez-vous, c’était il y a deux ans. La pochette de ce disque n’avait échappé à personne : un grand Black, figé dans une posture breakdance vintage sur une photo noir et blanc à gros grain, barrée de ce simple titre, Superrapin, claquant comme un étendard Wildstyle millésimé 1983. L’autocollant sur la pochette détaillait le line-up : Mike Zoot, Organized Konfusion, DJ Spinna, Mos Def, Lootpack, Bahamadia… autant de noms justifiant à eux seuls une écoute attentive. Ce n’est qu’un peu plus tard, en examinant les notes de pochette, qu’on a découvert avec surprise l’origine de ce disque : Groove attack distribution, Brüsseller Str. 89-93, 50672 Köln, Deutschland. Et deux ans plus tard, l’information continue d’étonner : le « nouveau Rawkus » (ce Graal après lequel courent les amateurs de hip-hop depuis plusieurs mois) se trouve peut-être à l’ombre de la cathédrale de Cologne…

Depuis la sortie de Superrappin, Groove Attack a sorti une douzaine de maxis, et une poignée d’albums remarqués, émanant de quelques-uns des meilleurs espoirs des deux côtes : le Soundpieces : Da antidote ! des Lootpack, le Ventilation : Da LP de Phife Dawg, discret deuxième album solo d’un membre de Tribe Called Quest après le surexposé Amplified de Q-Tip, le Best kept secret des J-88, le By design de Grand Agent (dont on a déjà parlé dans ces colonnes) et, donc, ce The Essence of J-Rawls du susnommé, par ailleurs membre des Lone Catalysts et (sans doute) seul producteur hip-hop de Colombus, Ohio.

Là où Grand Agent alignait les producteurs (Kutmasta Kurt, Lord Finesse, Hi-Tek) derrière ses rimes, J-Rawls aligne les MCs sur ses beats, ne lâchant son flow (plutôt bien) que sur deux morceaux. Pour le reste, c’est un défilé des seconds rôles de la scène underground US : les trop méconnus All Natural, Apani B. Fly, qu’on avait notamment entendue sur l’album d’Anti-Pop Consortium, J-Live, habitué des bacs à maxis, Mr. Complex, Dose One… L’ambiance générale baigne dans les samples jazz, creusant dans le sillon (ré)ouvert ces dernières années par les Californiens Peoples Under The Stairs ou MadLib, même si J-Rawls donne l’impression d’essayer d’offrir à ses guests des beats en rapport avec leur univers de prédilection. Ca marche parfois, comme lorsqu’il fait retrouver à Dose One (qu’on a déjà pas mal croisé en 2000, avec le collectif Deep Puddle Dynamics sur AntiCon Records, et en solo pour un introuvable album recommandé par The Wire) l’atmosphère crépusculaire et synthétique qui lui sied habituellement, faisant ainsi de Meniscus le meilleur titre de l’album. Ca peut également être nettement moins convaincant, comme quand il invite Charles Cooper à souffler dans son saxophone sur Blue #2. Passons (et tant pis si le titre est présent deux fois sur le disque).

Le reste de l’album navigue plutôt calmement dans des eaux teintées de réminiscences Blue Note, avec leurs lignes de piano ou de guitare brodées sur des rythmiques légères, sans qu’un morceau ne tranche vraiment sur les autres par son évidence. Ce sont en fait ceux qui bénéficient de l’assistance d’un DJ qui sortent le plus du lot : What you want is ?, qui ouvre l’album, le tribecalledquestien Great live caper, avec J-Live, et Cold Turkey, avec Capital D des All Natural, démontrant ainsi que nos oreilles ne sont pas encore tout à fait saturées de scratch, malgré la déferlante des disques plus ou moins réussis de turntablism de ces dernières années.

Au final, on est plutôt content. The Essence of J-Rawls n’est certainement pas The Low-end theory II, mais c’est un album honnête, classique dans sa facture, sans longueurs. Le genre de disque qu’on est content de découvrir par les temps qui courent, à côté des machines de guerre Eminem ou Snoop Doog.