On l’avait découvert lors d’une première rencontre en 2000 à Paris, dans un bar pop du côté de la rue Amelot. Hypo n’était pas un jeune homme comme les autres. D’ailleurs, on aurait dû s’en douter dès l’écoute de son premier album (Kotva), qui avait provoqué cette entrevue. Le regard schizoïde, le discours franc et les gestes nerveux de ce mirliflore éveillaient à la fois des sentiments d’emballement et des questions somme toutes courantes : doit-on séparer l’homme et l’oeuvre pour juger, pour critiquer ? Mais qui est donc ce jeune fou qui semble si sérieux ? Difficile de répondre. Car en fait, Kotva libérait une saveur dissemblable de ce qui nous entourait (musicalement) et ouvrait des perspectives poppy et ludiques que l’on ne pouvait bien sûr pas imputer à la seule personnalité de son auteur. Tout cela devenait troublant et enivrant.

C’est aussi grâce à sa façon d’appréhender la musique, à sa manière de composer, d’enregistrer et de se faire entrelacer les émotions et les troubles qu’Anthony Keyeux (de son vrai nom) nous a petit à petit charmé de son aura escamotée. Est venu ensuite Jingles & singles, un EP vinylistique émouvant, une galette qui faisait intégrer subtilement Hypo à l’écurie Active Suspension. Glissant sur des sillons biscornus et des aléas électroniques inaccoutumés, l’auteur de Oldorder continuait son parcours anormal et fascinant, en se démarquant des productions electronica environnantes.

Aujourd’hui, alors que le label Active continue son ascension vers des cieux electro-pop lumineux, Hypo parachute Karaoke a capella, un opus constitué en partie de collaborations et de remixes, de pop et de fichiers Wav., d’amitiés et d’amours morcelés. De fait, Hypo sait s’entourer de voix et de présences féminines, les porter sur ses hymnes anormaux ou broyer leurs cordes vocales. On retrouve donc ici la troublante Michiko Kusaki (les douces notes de Blowowo, la fameuse portion post-wave What about a fish…), la pétillante The Very Ape (mis en exergue sur le tube néo-pop Pil/Pil ou passée à la moulinette sur Birthday), la violoncelliste Sonia Cordier (qui joue à colin-maillard avec l’instru sautillant de Something must break), l’exquise Ceweecee (dont le chant hypnotique envahit progressivement Rudduddu), mais aussi la facétieuse Sawako (les interludes insolites Swk1 et Swk2) et la touchante Reiko Underwater (qui égrène ses vocaux cold-wave sur l’instru pop-corn de IanCurtisMayfield).

Keyeux sait aussi s’associer avec la gente masculine. En témoignent l’alliance avec l’alien folk-trash Boulder dDash, qui pulse un dDash Babass remarquable, où les lyrics et autres samples d’aliénés s’entrecroisent ici à foison sur des breaks décalés, qui laissent place à des synthés énigmatiques fusant de toute part. Sur RFM (Koalamm), The Glitchy Boy himself se charge de démembrer les rythmiques et de concasser les mélodies, tout en plaquant litanies harmoniques et contes fantomatiques au sol. Quant à Karelgott, il expulse des ombres 80’s embrouillées sur Karelgott dataglove, qui confère une pointe grave et inquiétante à Karaoke a capella. Un titre qui s’affiche comme un soupçon d’anti-pop extrêmement bien placé. Quant à l’excellent Newoldorder (assurée par le duo dDamage), il déplombe carrément toutes les tonalités du hit Oldorder, en dérangeant les euphonies notamment grâce à un jeu de breakbeats embrasant. Derrières toutes ces déconstructions et autres associations malignes, Anthony Keyeux apporte toujours sa touche personnelle, qui permet à l’album de retomber dans sa nacelle baroque, faite de cut-pop gourmand et d’histoires electro-singes.

Sur l’ensemble de cet opus mirifique, Anthony Keyeux réussit à la fois à nous faire rire et à nous émouvoir, à nous envoûter et à nous surprendre, en plaçant des pics pop fulgurants, qui se font valdinguer aussi bien par des glitches craquelés que par des amours déchus. Si vous croisez Hypo, demandez-lui qui est le trublion insane qui se ballade tout au long de cet opus sublime. Une des clefs de l’album ? Porcinet, bring the noise !