Drôle d’engin que ce Hype Williams, métisse bicéphale domicilié entre Londres et Berlin et qualifié par une presse déphasée de chaînon manquant entre Ariel Pink et Aphex Twin. En réalité, on est assez loin du compte. Certes, les divagations ambient-du-pauvre évoquent ci et là le braille électronique du barbu des Cornouailles, voire Boards Of Canada, si ce n’est que la technologie est en l’occurrence réduite à peau de chagrin. Le brouhaha électronique s’exerce ici à travers un attirail des plus précaires : Casio cheap, baragouin filtré par un bastringue de pédales d’effet et sans doute aussi monté sur un quelconque software. Mais c’est aussi là tout l’intérêt de cet album symptomatique de la génération YouTube : la structure « classique » de l’album s’effiloche chaque jour un peu plus en faveur d’un morcèlement constant, d’un patchwork tissé dans les fragments informes du fast-food audiovisuel qu’est devenu Internet.

Enterrée l’electronica hi-tech ciselée dans des logiciels ésotériques pondus par les geeks de l’IRCAM, moribonds les mantras freak-folk à la petite semaine gazouillés par des fils-à-papa, au pilori les néons éblouissants de la hype electro-qui-tâche, voici venir l’heure de l’amateurisme décharné et de la muzak chelou qui trotte dans la tête comme des voix entendues par un schizophrène. Le partout-nulle part des grandes orgues hollywoodiennes et de l’utopie hi-tech des années 80-90 laisse place au vide désargenté du ici et maintenant et à la science-fiction en chambre. Exit l’illusion communautaire et les espoirs d’un monde plus juste, les weirdos les plus démunis gravitent sur Facebook quand ils ne battent pas le pavé sous crack, prompts à marmonner un slam à la ramasse sur des instrus enregistrés à la diable: une boucle, un clap, un sample à l’envers et c’est parti. Pas abouti pour un sou ? Rien à cirer, l’essentiel est de l’avoir fait. Le seul point commun avec l’Ariel Pink ancienne formule est sans doute là: faire de ses faiblesses une force, sortir coûte que coûte des ébauches low-fi de morceaux sans attendre la baguette magique du producteur omnipotent. Nique sa race les liasses de dollars et le show-biz, la star de demain habite dans un taudis, possède un quatre pistes de Mathusalem, écoute des mixtapes sur un walkman pourri et tire des LPs à 300 exemplaires. Kanye West peut aller se rhabiller : un millionnaire ne pourra jamais véhiculer des tranches de vie sonores aussi crues, aussi perméables à la réalité la plus inconfortable. « Gettin’ real » qu’ils disent, comme s’il était temps d’assumer l’envers du décor clinquant, un peu à la manière des films de Todd Solondz ou du caractère hautement désenchanté de Ben Stiller en « Greenberg ». Musique de crise, intoxiquée au THC et à l’horizon bouché, qui ne pâtit pas tant de ses maladresses que de son point de vue irrémédiablement lié à l’air du temps, à ces loops et samples 80’s souffreteux. Si l’on y regarde de prêt, James Ferraro, Oneohtrix Point Never, Games et toute la clique du label Not Not Fun sont aussi passés par là, avec plus ou moins de réussite. Tout comme ses homologues ensorcelés par la dope, messieurs-dames Williams ont tendance à s’embourber dans une gadoue spectrale aux réminiscences eighties un peu trop prononcées, s’octroyant le rôle des SDF titubant aux détours d’une avenue de Floride bordée de palmiers, faisant mine de marmonner une muzak R&B en pitchant les voix au ralenti ou en nous faisant le coup éculé de la bande à l’envers. Hype Williams partage aussi avec Salem ce sens du gloubi-boulga synthétique aux neurones cramées – boîtes à rythmes approximatives, instrus en cul-de-sac et voix disloquées. Quant au crunk embryonnaire de Rescue dawn, à l’electro-funk de Blue dream ou au pastiche synth-funk FM velouté de The Throning, ils auraient pu tout aussi bien trouver leur place sur une compil Italians Do It Better ou en fond sonore d’un film de Michael Mann repiqué sur une VHS tressautante. Le titre le plus excitant est sans doute ce Jesus to a child, fil conducteur qui revient sur tout l’album, aussi incohérent qu’un monologue déposé sur un répondeur un soir de misère affective.

Curieux baromètre de l’époque, qui n’en est plus à un paradoxe prêt: plus l’univers est en expansion, plus la mondialisation fait rage et plus l’imaginaire semble se recroqueviller autour de cette chair morte d’un futur antérieur qui s’offre désormais en pâture sur le web. De l’hyperbole cosmique au microcosmos du homestudio, du white trash au black trash, la musique de Hype Williams semble être affaire de sédiments plutôt que de sentiments.