Le label anglais de Dave Howell semble décidément plus que jamais prêt à soutenir et financer les délires grandiloquents de ses poulains. Après les envolées ethno-symphoniques du Mokoondi de Mice Parade et avant la participation de Sigur Ros à Angels of the universe, la nouvelle B.O. de Hilmar Örn Hilmarsson, c’est aujourd’hui Doug Scharin qui part en quête de reconnaissance arty avec ce bien nommé New features. En effet, Doug Scharin franchit ici une étape essentielle de l’évolution de son projet Him, commencé comme un trio de dub sombre, crépusculaire et encore très marqué par le rock qu’il pratiquait au sein de June of 44, Codeine et Rex, ses principaux projets subalternes.

New features dévoile en plein les diverses inclinations jusque-là réduites à l’état de germes et sort définitivement du carcan indie rock pour pénétrer dans le domaine d’un jazz complexe, bavard, et, il faut bien l’avouer, un peu décontenançant. Si l’année dernière, Our point of departure faisait exploser la frontière entre le rock mutin de Scharin et un funk seventies lourd en affect culturels, à la limite de l’afrobeat, ce nouvel opus franchit la frontière sans se retourner une seconde sur le passé musical de son géniteur. La musique est ici faite de thèmes musicaux alambiqués qui rappellent souvent plutôt les dérives fusion post-Bitches Brew que Bitches Brew lui-même, ce disque essentiel du jazz électrique qui engendra dans son sillon les pires expériences jazz-rock. Les rythmes complexes de Scharin en viennent effectivement presque à rappeler les dérives latino de Chick Corea et les thèmes mélodiques les démonstrations arrogantes de Weather Report. On imagine que Scharin préférerait qu’on cite les Headhunters d’Herbie Hancock, Fela, le In the corner de Miles Davis, le dub lancinant d’Augustus Pablo. Seulement il semble avoir toutes les peines à maîtriser ses musiciens et verse très vite dans l’idiome fusion, toujours à la limite du mauvais goût et du démonstratif.

Le très long morceau In transition passe ainsi par toutes les couleurs du spectre du mauvais goût à la vulgarité, d’un horrible thème biscornu de saxophone à des coups de sang free et des moments d’introspection ambient-dub extrêmement subtils. La plupart des morceaux alternent le meilleur et le pire, et l’auditeur en arrive à se demander si les moments de grâce ne sont pas accidentels. Out here est plutôt détendu, une mélodie enjouée faisant presque oublier les envolées des solistes ; l’enchaînement avec le dub de Clouds est merveilleusement entraînant. Ce dernier morceau est toutefois plus convenu, tout en delay, sub-bass et effets de wah-wah. En outre, un horrible solo de guitare seventies (mon dieu, on pense à Santana…) vient gâcher la dernière partie. Were once se concentre plus heureusement sur les textures et les effets électroniques. Une lointaine trompette introduit une intéressante dimension cinématographique, vite avortée. Sea level, enfin, débute sur un bienvenu chaos de guitares et de cuivres. Un funk lourd et sombre sert de liant à des envolées de soli qui s’enchevêtrent enfin, après s’être poliment répondues pendant beaucoup trop longtemps.

Mais le principal problème reste à savoir si ce disque saura trouver son public. Entre les vieux fans du hardcore de June of 44 (qui n’ont pas pardonné à Scharin les incursions funk et électronique d’Anahata, triste chant du cygne du groupe de Louisville) et les irréductibles du slow-core de Codeine et Rex, peu suivaient déjà encore Scharin dans ses premières aventures dub. Combien d’entre eux et combien d’habitués même ouverts de Fat Cat et la scène indépendante en général trouveront donc leur compte dans ces thèmes mélodiques alambiqués, ces soli à rallonge et ces ambiances qui appartiennent à un domaine culturel qui leur est irrémédiablement étranger ? Il y a ici un conflit esthétique et éthique essentiel : Scharin invoque des vieux démons musicaux que l’indie avait réussi à éradiquer de ses formes libertaires. Il joue avec le feu, se prend pour Tony Williams, et se plante le bec dans l’eau. Jusqu’au prochain ?