Du premier 45 tours auto-produit sur leur propre label SUUT, Money makers on my back, à ce Giant gigantesque, qui sort sur une major company (Source etc est une filiale de EMI), sans se forcer, sans se presser, en faisant ce qu’ils ont toujours fait (des chansons par centaines et des tournées qui n’en finissent jamais), en plus de dix ans de carrière, parce qu’ils ont travaillé (galéré même) sans relâche, parce que leur musique a grandi avec eux, s’est affinée en même temps qu’ils se construisaient, s’est magnifiée à mesure que leur exigence envers eux-mêmes se précisait, Herman Dune sont « arrivés », sont enfin « au top ». Parce qu’ils le méritent, parce qu’ils le valent bien, parce qu’ils ne seront jamais le groupe d’un jour ou d’une hype, mais l’exemple même que l’on réussit aussi parfois, parce qu’on est bon.

Giant est donc le septième album « officiel » après la période Prohibited Records (le sec et Silvertonien turn off the light, le suisse et hi-fi Switzerland heritage), le périple américain (Mash concrete metal mushrooms, paru sur le label culte lo-fi Shrimper et le très antifolk et new-yorkais Mas cambios) ; puis, au milieu de belles rencontres et de belles tournées (avec Kimya Dawson, Jeffrey et Jack Lewis, Turner Cody, Toby Goodshank, Calvin Johnson, Julie Doiron…), la reconnaissance de l’internationale indie, avec Not on top, en mono et bourré de tubes. Mais tout cela n’est pas grand-chose finalement, au regard des centaines et centaines de chansons que David Ivar et André ont composés, pour les dizaines de CDRs solos magnifiques qu’ils vendent eux-mêmes à la fin des concerts et qui font le bonheur de leurs fans, de plus en plus nombreux. Giant, donc, enregistré aux pays de Galles par Richard Formby (Spectrum, Jazz Butcher), est l’album le plus ambitieux, le plus produit, le plus arrangé du groupe, avec des choeurs à la Shangri La’s (les « Woo-Woos » : Lisa Li-Lund et les new-yorkaises Babyskins), une section de cuivres impeccable venue de Brooklyn, les percussions de Jérôme Lori Schonberg (Berg Sans Nipple), le tout en live, en analogique (d’où le logo AAA sur la pochette : « enregistrement Analogique, mixage Analogique, gravure Analogique »), et en totale stéréo, à la Rubber Soul. Sur certains morceaux, David lance son frère pour un solo (« Go André ! »), ou introduit oralement les choristes, comme il le ferait sur une scène et comme le faisaient les Shangri La’s ou les Dixie Cups à leur époque. Car en effet, Herman Dune revendique et rend hommage à ses influences, et chaque album se veut aussi le reflet de ce que le groupe écoute au moment de l’enregistrement. Pour Not on top, c’étaient les Sonics et les Rolling Stones. Pour Giant, les influences principales ont été les productions de Shadow Morton pour les Shangri La’s, et les Dixie Cups (du New Orleans Sound, enregistré façon pop pour le Brill Building). De fait, le morceau d’André No master est un hommage appuyé au Iko Iko des Dixie Cups, seulement accompagné de percussions primitives, mélange parfait de tradition africaine et de songwriting pop. Autres influences : Leonard Cohen l’éternel, le Gainsbourg percussions, Jonathan sings de Jonathan Richman, l’album pop To love somebody de Nina Simone, ou la série Masada de John Zorn, dont la section de cuivre s’est beaucoup inspiré. Du point de vue du strict songwriting, Giant est lumineux et joyeux comme un disque d’été. Les deux écritures sont plus que jamais complémentaires : d’un côté, les pop-songs enlevées de David, chansons d’amour naïves et touchantes (comme le single I wish that I could see you soon) ou, à la manière Antifolk, témoignages quasi-documentaires (avec une belle et amicale passion pour le name-dropping indie, un hommage à la grosse pomme, Take him back to New York City, et une chanson végétarienne, Your name – My game) ; de l’autre, les chansons amples d’André, flirtant avec le fantastique ou la religion, atteignant une sorte d’abstraction elliptique, énigmatique, qui les rend intemporelles et universelles, comme sa chanson-titre, Giant, incroyable progression chromatique spiralée, qui le dessine en « géant sur les épaules d’un nain ».

De fait, André a récemment quitté Herman Dune pour reprendre son saxo alto et faire des albums solos. Coïncidence, son album Täglich brot, New York-Berlin, sort également ces jours-ci sur le label américain Shrimper, découvre la facette plus intimiste, plus personnelle aussi, de l’écriture d’André, et se pose comme le complément lo-fi et marginal de Giant. Quand son frère David s’inspire ostensiblement des classiques des 60’s, André essaie clairement de développer une écriture plus singulière, qui s’affranchit de ses influences, et se pose comme véritable identité musicale. Dans ce périple imaginaire New York-Berlin (certains morceaux ont été également enregistrés à Leeds), André joue de la folk un peu partout, avec un peu tout le monde (Richard Formby, Clémence Freschard, Jan Nikolaus Junker) et varie ambiances et arrangements, passant d’Everyday bliss avec guitares, batterie et basse à des chansons toutes nues, enregistrées sur ordinateurs dans un salon ou sur un 4 pistes. Pleines de textes, inspirées par le flow du rap (un rap revisité, réapproprié) autant que par celui de la folk de Dylan, les chansons d’André peuvent s’arranger d’une boite à rythmes cheap (sur How I feel about you) ou d’arpèges de guitares compliqués et majeurs, dans une veine très folk anglais. Et pour ceux qui avaient une préférence pour l’écriture d’André au sein d’Herman Dune, ils peuvent toujours se consoler en se disant que deux groupes talentueux (et deux fois plus de disques et de chansons) valent mieux qu’un.