Pouls du moment dans le monde du 4/4 qui croustille et qui flamboie, des petites ritournelles tristes enveniment les kicks, les houles, les sub et les grooves de beaucoup de belles petites odyssées un peu progressive, presque trance, foncièrement pop, ces jours. Quelque part entre les montées extasiées un peu pleureuses des maisons Border Community et Traum (Nathan Fake, MFA, Minilogue, Extrawelt, surtout Extrawelt), les sordides affaires kitsch de Trentemöller et les relents Cluster-esques récents de B-Pitch, ça romanticise sec, ça étale des nappes à tout va, ça enterre des mélodies douces dans les infra, l’heure est presque à la techno emo : on ne s’en plaindra pourtant pas encore, tellement le ralentissement des tempi et des lampes des compresseurs hurleurs ravit les esprits. Et puis on a deux vraies merveilles sur les bras, ce mois.

Gui Boratto, en première ligne, Sao Pauliste virtuose en vacances de son boulot de producteur mainstream, a gravi à toute vitesse tous les échelons du microcosme techno depuis son Arquipélago de l’année dernière, et on est tout ébaubi (on est pas les seuls) de l’équilibre dévastateur de son premier album. Synthèse merveilleuse de petite rage linéaire, de torpeur deep, de mini montées conquérantes et d’emphases mélodiques sans débordements, Chromophobia résume exactement ce qu’on pourrait attendre d’un beau disque techno en 2007, après la rafle Booka Shade, après la mise à sac de la minimal relou, et ne ressemble pourtant presque à rien. La faute au Brésil ou pas (on évitera le sujet, on a peur de l’écueil), le son de Boratto est glacial et tropical en même temps, habité de sève house sexuelle à l’ancienne en même temps que, constamment mis à mal par des nappes déprimées et des bass mélodies new wave choux-fleurs, plein de petites éruptions sambistes de toms numériques, d’éclats de souffle ou percussions liquides et de petits écarts DSP. La mise en forme est sans crevasse, parce que Boratto est un sound-designer habité et passionnant, l’à propos des compos, montée terrible ou plateau mélodique, simplement admirable, et pas un morceau ne joue au jumeau d’un autre. On ne fera donc pas à ce petit grand disque, futur grand tout court, l’affront de compter les tueries douces, d’isoler les atmosphères, parce qu’il ne s’arrête jamais sur un temps mort, et on se contentera de joindre nos louanges à celles que vous avez déjà entendues ailleurs: on n’avait jamais vu autant de couleurs chez Kompakt, et on n’avait pas entendu un truc de cette trempe depuis une éternité.

Plus nocturne, plus ado, Pantha Du Prince, signé chez les allemands de Dial, fait joujou avec les mêmes fréquences, les mêmes filtres et les même tempi que son compère du Brésil, mais avec un sens du groove nettement plus délayé, et une sens mélodique autrement plus appuyé. Ses aplats techno, presque indépendants des hautes mélodies romantiques qu’ils portent, sont très classes, engorgés de synthés tubulaires, de cymbales écrasés et de jolis toms aériens, mais leur groove reste inexorablement porteur, sous-jacent, en retrait plat sous les architectures de spleen, les haltes sombres, les moments de scotch embués. En gros, Pantha Du Prince file tout droit, riddim robotique dans la poche arrière, coulées de rimmel sous les yeux, vers des horizons noirs, peint des gros paysages urbains typiques (on pense pas mal à son camarade de label Lawrence), en descente directe des plus beaux moments de spleen urbain de Carl Craig, Mark Broom ou du Stasis de Steve Pickton, voire en cousin sautillant de l’ambiant tout numérique de Loscil, les granules merveilleuses des textures en moins. De la techno « majestueuse », pour ceux que l’épithète n’effraiera pas, et, dans l’horizon, certainement un moment fort de l’année électronique qui débute.