C’est l’événement de la rentrée : on fait du neuf avec du (très beau) vieux, on rhabille l’immense tout sous les couleurs d’un seul éditeur, packaging ultra classieux et livraison, in fine (c’est-à-dire en août 99) d’une édition monumentale de cent doubles CD. Tout ce que vous avez toujours voulu entendre des plus belles partitions pianistiques par la crème des crèmes -ou presque, cf. infra- des interprètes de ce siècle, se trouve forcément quelque part dans un recoin de cette sublime, forcément sublime anthologie.
On imagine sans mal combien de sueur -sinon de sang !- a dû verser Tom Deacon, le producteur à qui l’on doit cette entreprise stupéfiante : voici, réunis sous la même étiquette, soixante-douze pianistes des plus fameux de l’histoire du disque (les uns disparus, les autres bien vivants), dont les droits étaient dispersés chez pas moins de vingt-sept éditeurs. Le pari relevait de l’inconscience, ou de l’utopie, il est, de fait, quasi gagné.
Quasi : car comment ne pas être déconcerté devant l’absence de quelques noms absolument incontournables ? Là où l’on trouvera un Kissin (à peine 27 ans et toute une carrière à construire !), mais pire, une Uchida ou un Previn, comment expliquer que n’apparaissent pas les Ciccolini, Perlemuter, Berman, Nat ou autres Marcelle Meyer, bref, autant de figures emblématiques, de légendes du piano ?
Il n’est pas d’argument qui vaille, Tom Deacon le sait : « Il est vrai que certains grands artistes manquent, qui auraient pu y figurer, mais cet ensemble doit être vendu dans le monde entier et certains noms ne sont pas assez connus »* -quant à nous, les noms de Bruk et Taimanov ou de Rosalyn Tureck (qu’on trouvera bientôt au catalogue de cette édition) n’avaient jamais résonné à nos ignares oreilles, on ne s’en félicite pas, mais Vlado, Aldo et les autres !…
A cette -grosse- réserve près, c’est évidemment l’admiration et la jubilation qui l’emportent. Admiration devant ce travail titanesque et néanmoins d’une fine intelligence dans l’approche de chaque interprète et de son répertoire d’élection ; jubilation de retrouver -et pour ne s’en tenir qu’à cette première livraison- deux ou trois noms mythiques et quelques contemporains qui ne leur cèdent en rien. Rachmaninoff, dans ses oeuvres mais surtout dans un Carnaval spectral de Schumann -historique dans tous les sens du terme ; Kovacevich, dans ses Beethoven de jeunesse -une réédition longtemps attendue.
Deux noms, pris (pas tout à fait hasard) parmi vingt autres, qui s’imposeront à tous les discophiles auxquels cette somptueuse collection est avant tout dédiée.

*Le Monde, 13-14 septembre 1998