Quatrième disque des Canadiens de Godspeed You ! Black Emperor et, de manière prévisible, nouvelle poussée de schématisme d’une critique décidément réfractaire à l’idée de questionner le projet d’un groupe qui pourrait pourtant se poser dans les termes d’un sujet de bac philo : art et politique doivent-ils être liés ? Le groupe considère qu’il va de la responsabilité de l’artiste/citoyen de lier ses choix politiques à son oeuvre ; la critique préfère fermer les yeux, évitant ainsi de s’embourber dans un problème jugé épineux. Face à des artistes qui refusent de dissocier contenu musical et politique, le malentendu persiste donc puisque c’est une part essentielle de l’oeuvre du nonet montréalais qui est systématiquement tronquée de l’analyse. Entre les brocards et la fascination sans borne qu’il suscite, il existe pourtant une voie médiane qui interroge la pertinence de l’articulation politique/musique, qui se trouve avoir toujours été le noeud du projet de GY!BE. Sous cet angle, Yanqui U.X.O. (le titre désigne l’appareil de guerre américain) traduit une saisissante évolution vers plus de limpidité.

Mise à part l’anecdotique migration du « ! » de « Emperor ! » vers « You ! », Yanqui U.X.O. se distingue d’abord par un spectaculaire changement : la disparition de signes cabalistiques ou de références aux religions monothéistes qui avaient fini par brouiller plus qu’il ne fallait l’image du groupe (à l’exception d’un Motherfucker=Redeemer qui met en équation connard et Rédempteur, sic). Les accroches racoleuses confectionnées par la presse et la réputation de secte emmenée par un messie barbu (Moïse ou Marx, c’est selon) que traînait le groupe ont du avoir raison des nerfs des musiciens. Finies donc les croix et les étoiles de David. Finies les insertions de monologues occultes qui émaillaient le contenu de leur musique. Certains gimmicks indigestes n’ont par pour autant disparu. Mais si les ambiances millénaristes et les hymnes à la révolution demeurent, ils s’effacent au profit de nombreuses et magnifiques effusions sonores qui dévoilent plus que jamais ce que la musique du groupe, jusqu’ici très auto-référentielle, doit au rock 70’s.

Boosté par Steve Albini à la production, l’album gagne ainsi en rigueur, dynamisme et surtout lumière. Car dans le même temps, Yanqui U.X.O. marque un retour à cette image qui ornait déjà le premier LP du groupe : un marteau sur lequel est écrit « Hope ». Histoire de rappeler que l’espoir cultivé par GY!BE n’a jamais été absent de sa musique (contrairement à certaines idées tenaces), qu’il ne l’a jamais autant fait battre qu’aujourd’hui (l’écoute des trois longs morceaux en donne la conviction), et qu’il ne se réalisera pas par de jolis discours mais par un coup de force.

Avec une image de bombes tombant de la soute d’un avion et un schéma mettant à jour les connexions entre majors et industries d’armement (sujet sur lequel des musiciens ne sont pas les moins fondés à s’exprimer), les visuels de la pochette sont plus explicites encore. En se faisant l’écho des événements post-11 Septembre, ils précisent un discours jusqu’ici parfois trop allégorique ou diffus pour être pleinement décrypté. Ce même souci de clarté se manifeste encore dans le choix des titres de morceaux, à la fois concis et développés en notes de pochette à l’attention du plus désinformé des auditeurs. Un exemple : les progressions, cheminements, acmés et explosions de 09-15-00 (date de la « visite » d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, provoquant le déclenchement de la deuxième Intifada) acquièrent une signification et une puissance émotive qu’ils n’auraient jamais eues avec un titre fuligineux dont le groupe avait le secret. Sur 09-15-00, les mots « Espoir », « Colère », « Injustice », « Détresse », « Paix » perdent leurs belles majuscules et s’incarnent enfin dans des images connues de nous tous : celles du conflit israélo-palestinien.

Soucieux de faire connaître au mieux ses convictions, GY!BE n’a pourtant pas toujours cherché à se rendre compréhensible, en choisissant dès ses débuts une stratégie de retrait vis-à-vis de la presse qui n’a fait que favoriser un quiproquo. Yanqui U.X.O. corrige aujourd’hui le tir. Mais à dénombrer les clichés qui accompagnent encore la réception du dernier album, il faut reconnaître que l’espoir, ce n’est pas ce qui doit manquer au groupe.