Certes, ceux qu’avait ébloui Blow up, en 1997, ne découvriront rien qu’ils ne connaissent déjà dans cette sélection de thèmes enregistrés au cours d’une poignée des 300 concerts donnés depuis par Richard Galliano et Michel Portal ; ils savent déjà le lyrisme du duo, son attirance pour les splendeurs tristes du tango en général et du grand Piazzola en particulier, la beauté du mariage du timbre boisé de la clarinette et des harmoniques du piano à bretelles, la jubilation de leurs envolées communes. Il reste pourtant, lorsqu’on tend l’oreille, beaucoup à découvrir dans cette musique inlassablement travaillée et reprise sur scène depuis sept ans : sept morceaux inédits, tout d’abord, qui, pour ne pas s’éloigner de registres familiers, n’en procurent pas moins le plaisir de découvrir de nouvelles mélodies ; l’infinie diversité des variations et altérations apportées par l’improvisation et le temps à ceux que l’on avait déjà entendu, surtout, à l’image du Mozambique portalien ou du magnifique Viaggio de Richard Galliano. Ni l’un, ni l’autre ne sont avares de leurs effets et de leurs sentiments : cette musique-là ne tolère pas la retenue, et c’est sans limites qu’ils donnent libre cours à un lyrisme tantôt mélancolique, tantôt dramatique, jamais indifférent. La poésie et l’émotion percent à travers chaque accord, les esprits les plus imperméables s’en trouveront transportés comme les autres. L’urgence de la musique de Portal et Galliano tient aussi, sans doute, dans ce sentiment du temps qui file et emporte tout, jusqu’à soi-même ; le Tango pour Claude (Nougaro, dont Galliano fut sept ans durant le chef d’orchestre, l’arrangeur et même le compositeur) qui ouvre l’album et le J.F. (Jenny-Clark) de Galliano montrent assez combien le noir le plus profond se tient toujours en arrière-plan du feu d’artifices de couleurs que les deux hommes donnent à voir, comme un voile pudique.