Huit ans. C’est ce qu’on a dû attendre avant de pouvoir écouter un nouvel album de Freestyle Fellowship, le troisième dans la discographie discrète mais cultissime du groupe d’Aceyalone, Mikah-9, Jupiter et P.E.A.C.E. Les deux premiers (To whom it may concern, en 1991, et Innercity griots, en 1993) figurent au panthéon secret du hip-hop underground, parfaits exemples de l’injustice de l’histoire officielle du rap des années 1990. A une époque où Dr. Dre élaborait ce qui deviendra le son de LA pour les dix années à venir, les Freestyle Fellowship inventaient un autre rap californien, partageant avec le G-Funk de Death Row la même indolence caractéristique de la métropole tentaculaire, mais développant un univers autrement plus élaboré, dans les rimes, dans le flow comme dans le son.
La frêle poésie sophistiquée des Freestyle Fellowship, posée sur des beats jazzy laid-back comme seule la Californie peut l’être, ne résista pas bien longtemps au raz-de-marée de la G-Funk era, et le groupe splitta en 1994, dans l’indifférence d’une industrie tout entière concentrée sur les bow-wow-wow de Snoop alors au faîte de sa première gloire, et sur les premiers pas de ce groupe venu de Saholin, Staten Island, le Wu-Tang Clan. Mais tous ceux qui recherchaient une autre manière de faire du hip-hop surent s’en souvenir. Malgré les décevants album solo d’Aceyalone, que les amateurs se forcent à acheter depuis 1994 en souvenir des exploits passés du bonhomme, l’image des Freestyle Fellowship est restée une icône immaculée du hip-hop underground, et une référence obligée pour tout groupe de rap Westcoast ne souhaitant pas parler uniquement de salopes, de guns et de bagnoles.
Huit ans plus tard, donc, revoilà les Freestyle Fellowship avec ce Temptations de 47 minutes. Les retours sont ce qu’il y a de plus difficile à faire dans une scène hip-hop qui n’aime guère les anciens combattants. Pour un Dr. Dre, combien de Chuck D, d’Ice T, de Run DMC, qui essayent vainement de regagner la pertinence qu’ils ont perdue avec les ans ? Certes, les Freestyle Fellowship n’ont jamais vraiment connu la consécration, ce qui leur offre davantage de libertés par rapport à leur passé. Mais, néanmoins, quand on sort son premier disque depuis 8 ans, après un classique comme Innercity griots, il vaut mieux qu’il soit à la hauteur des attentes. Ce qui n’est hélas pas vraiment le cas.
Il est difficile de dire exactement pourquoi. La première chose, c’est sans doute que cet album est trop court. Paradoxe, quand c’est plutôt la concision qui fait les disques les plus percutants, plutôt que les pénibles sommes en 2 CDs . Mais ici, la brièveté des morceaux génère davantage de frustration que de plaisir. Tous les morceaux les plus entraînants semblent avoir été volontairement réduits, comme si les Freestyle avaient honte de leurs beats et préféraient pour se lâcher des dérives aux relents jazz rock peu inspirées (Fragrance, feat. Abstract Rude).
C’est la seconde surprise du disque : on ne se l’avouera pas spontanément, mais ce sont les orchestrations les plus simples, celles dont les beats bondissants rappellent (oui) le Dr. Dre de The Chronic 2001, qu’on préfère ici (Every reason why, Watch what you do), c’est-à-dire précisément ces morceaux dont on aurait préféré qu’ils durent plus que 2 minutes 30, plutôt que les morceaux plus laid-back, beaucoup moins convaincants (ainsi le heurté Temptations). Sauf que, si c’est ce qu’on cherche dans un album de Dre, ce n’est pas vraiment ce qu’on attend dans un disque de Freestyle Fellowship.
Enfin, on est un peu en mal des performances vocales qui faisaient la force des premiers albums. Le flow est sûr et maîtrisé, mais souvent sans grande imagination (voir par exemple le chorus de Seasons). Quelques morceaux laissent surgir l’agilité des quatre Freestyle Fellows, comme le polyphonique Hillcrest, mais, encore une fois, pendant trop peu de temps.
Les albums solo en demi-teinte d’Aceyalone ne nous avaient pas préparé à un retour étincelant des Freestyle Fellowship au grand complet. On n’est donc qu’à moitié surpris, ou à moitié déçu. Et c’est exactement ce qu’est ce disque : une moitié de bon album.