Ivo Pogorelich a été lancé sur le devant de la scène grâce à un scandale: candidat au concours de Varsovie en 1980, il ne fut pas retenu pour la finale, provoquant alors la démission du plus célèbre des jurés, Martha Argerich. Sa beauté de dandy et sa grande virtuosité ont fait le reste. C’est ainsi qu’il signa un contrat d’exclusivité avec la plus prestigieuse maison de disques, Deutsche Grammophon. Il n’avait alors que 22 ans et son premier disque était déjà consacré à Chopin. Plus de quinze ans plus tard il y revient en « exécutant » les quatre Scherzi. On retrouve dans son jeu ce qui avait séduit ou agacé l’auditeur : un piano spectaculaire, electrisant, une interprétation profondément subjective qui cherche à s’éloigner de toute tradition. Dans ces piéces-écrites à l’origine pour les salons entre 1832 et 1842- Pogorelich se plaît à accentuer les différences de tempi, à souligner les contrastes d’atmosphère, ce qui parfois l’amène à prendre de grandes libertés avec le texte ; ainsi elles deviennent des pièces de concert. Pour autant les Scherzi ne perdent rien de leur fougue romantique de leur tension dramatique, bien au contraire. Avec une technique proprement hallucinante, les passages rapides sont empreints d’une sauvagerie décapante ; les passages lents, tout en retenue, sont bouleversants d’intensité grâce à un phrasé exemplaire.
Chopin avait donné un nouveau sens la forme du scherzo, le rendant autonome sans rapport avec un simple mouvement de sonate. Dans la même démarche que Chopin, Pogorelich innove et construit une vision enivrante, restitue bien les audaces rythmiques et harmoniques. On ne peut que être pris par l’architechtonique sonore renversante de cette interprétation. S’il ne remplace les versions de Samson François ou d’Arrau, l’énergie parfois outrancière dégagée reste enthousiasmante. Comme ce n’est pas toujours le cas, profitons-en !