Avec sa pochette aux ailes de papillons et un titre aux allures d’injonction christique, Imite-moi est un objet qui surprendra tous ceux qui se sont fiés à ses signes extérieurs. Car Imite-moi, à contre-pied de l’imagerie gothique en vogue sur les disques de ses camarades qui aiment faire du boucan (Kevin Drumm, Lasse Marhaug, Masami Akita…), est bel et bien un album de noise, né de l’imagination débordante de Fabriquedecouleurs.

Derrière ce joli nom se cache Emmanuel Allard. Graphiste, rédacteur de feu 18, Jardins et moitié de Speakerine avec Sylvain Livache, il est encore le co-fondateur du label List pour lequel il a notamment réalisé la conception graphique des trois premières références (V.A. Minima-list, Sogar et Mou, Lips!) avant de prendre le large et de mener sa barque en solo avec son label Dorodine. Consciencieusement et à son rythme, Fabriquedecouleurs a égrené sur son passage quelques bombes sonores que l’on aura pu entendre (impossible de les louper) sur des compilations Evenement, List, Active Suspension… Auteur d’un Capital risque paru en 2000 sur Heidirecordings, il sort au compte-goutte et en catimini Bujeold, un maxi enregistré au printemps 2003 lors d’un concert en Italie, avant d’entamer une tournée au Japon en juillet. De retour à Paris, Imite-moi est fin prêt et son écoute permet de confirmer tout ce que ses précédentes contributions avaient pu laisser présager : avec Fabriquedecouleurs, ça cogne méchamment dans les enceintes !

Parmi la panoplie de gadgets parfaitement inutiles qui accompagnent certains lecteurs de disques pour ordinateur, il en est un qui s’avère particulièrement instructif pour découvrir ce que cet Imite-moi a dans le ventre : l’oscilloscope. Parole de geek qui passe des heures devant son écran, jamais je n’avais vu se former des sinusoïdes ayant pareille tête. Antithèse graphique des disques de lowercase music qui décrivent le plus souvent des oscillogrammes définitivement plats, le disque de Fabriquedecouleurs peut s’écouter 45 minutes durant, les yeux plantés sur son écran, à contempler les formes improbables qui se dessinent (triangles, noeuds, …) et les courbes qui s’affolent (mention spéciale à Immolate not amulette et son oscillogramme en forme d’histogramme). Blague à part, il faut bien dire que comme tout disque ardu et radical, Imite-moi ne s’écoute pas autrement qu’en ouvrant grand les oreilles et en cessant net toute autre activité, sous peine de ne pas comprendre / sentir la moitié des paquets d’informations et de sons qu’expulsent les enceintes.

Dans l’oeil du cyclone Imite-moi, une particularité de taille : de même que l’on crédite les Minamo d’avoir réintroduit la mélodie dans la musique improvisée, on pourrait bien gratifier Fabriquedecouleurs le fait d’avoir su intégrer dans sa déferlante noise le sens de la mélodie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Imite-moi fait parfois songer au Fennesz de Plus sorty seven degrees 56′ 37″ minus sixteen degrees 51′ 08″. Chez Fabriquedecouleurs cependant, le traitement des sources sonores utilisées (et déconstruites), ainsi que leur montage sont plus tranchés et amènent le musicien à taper régulièrement dans les fréquences extrêmes. Entre une trombe de bruit blanc et une roulette de dentiste (?) amplifiée jusqu’à la saturation, il n’est ainsi pas rare d’entendre le son délicat de cordes, de guitares en reverse ou de véritables guitarmageddons (c’est-à-dire d’authentiques déluges de guitares jouées, comme sur le dantesque Hajime et non de monstrueux larsens ou des concerts de crépitements électriques pour câbles de guitares comme sur Benjor…). Fidèle à une esthétique de rupture, Imite-moi échappe constamment à la facilité (faire du bruit pour faire du bruit) et déroule son fil brisé jusqu’à son terme, « forcément imprévisible », si l’on peut dire : un morceau final, enfantin et ludique (Crapaudin), pour une volée d’instruments percussifs qui rappellera l’univers poé(aqua)tique de la Japonaise Miroque et ses pluies de gongs, marimbas et steel drums.

Serait-ce trahir un secret que de dire que l’album a été réalisé sur plusieurs années ? Sous ses airs de grand bordel, Imite-moi engendre en fait deux sentiments : une impression de rigueur et de grande maîtrise du matériau sonore, et celle de s’être pris une énorme claque musicale. Ultime précision : dans la catégorie « disque-de-noise-à-pochette-rose-et-blanche-comme-une-boîte-de-sucre » (une espèce en apparition), ruez-vous sur Cd Eb & Flo, le dernier album de l’Anglaise Kaffe Matthews, il est terrible !