Premier opus du nouveau label Assai, le récital de Giovanni Bellucci place les enjeux très hauts. Le jeune pianiste, remarqué lors de son prix au prestigieux concours « piano masters » de Monte-Carlo, accepte d’enregistrer deux œuvres magistrales, tant par leur durée inhabituelle que par leurs difficultés pianistiques insurmontables. Une stratégie complexe pour un jeune artiste espérant débuter une carrière internationale : enregistrer un répertoire méconnu du public ou prendre le risque de se mesurer aux grands chefs-d’œuvre. En pensant aux choix judicieux de Franck Braley dans Richard Strauss (chez Opus 111) ou de Frédéric Chiu dans des transcriptions oubliées (chez Harmonia Mundi), on était curieux d’écouter la transcription de la Fantaisie pour orgue de Liszt (d’après le chorale « Ad nox, ad salutarem undam » de Meyerbeer). En se souvenant des risques que prit Glenn Gould en 1955 avec les Variations Goldberg (chez CBS) ou plus récemment Jean Marc Luisada dans les valses de Chopin (pour DG), on attendait de pied ferme la Sonate « Hammerklavier » de Beethoven.

Comment écouter l’opus 106 de Beethoven après la Fantaisie Liszt-Busoni ? On sera sans doute amusé par la filiation de l’œuvre de Liszt d’abord (et de Busoni ensuite) avec le chef-d’œuvre de Beethoven. Les deux partitions ont des liens évidents : elles sont brillantes, épiques et sollicitent les plus périlleuses capacités techniques de l’interprète. Cependant, même avec sa fugue terminale et son traitement orchestral du piano, l’œuvre de Liszt-Busoni supporte difficilement la comparaison. Cette Fantaisie n’est pas la sonate en si mineur, et elle semble finalement plus marquée par l’empreinte lyrique (tendance gothique) de Busoni, son transcripteur.

Giovanni Bellucci est parfaitement à son aise dans un tel programme. On voudrait bien l’écouter pourtant dans la partition plus inspirée du prélude chorale et fugue de César Franck. Sa vision de l’opus 106, assez mesurée, évite de nombreux pièges techniques, prend le parti de la (relative) lenteur, et profite de l’acoustique excellente de l’arsenal de Metz. Dans 15 ou 20 ans, on aimerait que ce musicien ré-enregistre un tel programme, se joue plus encore de sa folie et atteigne les splendeurs de Claudio Arrau, Sviatoslav Richter ou Arthur Schnabel.