Edith Canat de Chizy a 50 ans. C’est une femme compositrice, espèce rare. Que ce soit dans l’univers rock, jazz ou classique, si sa place est bien assurée côté interprétation, notre moitié d’humanité n’est jamais parvenue à faire connaître son œuvre durablement. Cela doit changer. Canat de Chizy est de la même génération que Gérard Grisey, Tristan Murail ou Michael Levinas. Elle a pourtant échappé à l’influence d’Olivier Messiaen et s’est tournée plutôt vers les jeux sonores d’Ivo Malec ou de Guy Reibel. Ce que retient Edith Canat de Chizy de leurs enseignements ? Le sens de la matière sonore, la liberté formelle. Elle doit sans doute plus encore à Maurice Ohana, l’un des grands compositeurs indépendants du siècle. Il y a une filiation évidente avec le Catalan. Il défendit toute sa vie « la liberté du langage musical contre tous les esthétismes tyranniques ». La liberté de son récit incantatoire, des psalmodies, qui ne contiennent ni développement ni structure préconçue, est la marque de fabrique commune aux deux compositeurs.
Reconnaissons l’aridité du propos. Si vous n’êtes pas familiers de la musique contemporaine, vous allez, en écoutant ces trois œuvres, être déroutés (un peu acide pour un brunch). La multiplicité des formes, le langage polyrythmique, les harmonies comme sculptées dans la matière brute, l’absence de repères mélodiques nécessitent un peu de concentration. Mais si vous poussez la curiosité plus loin, vous apprécierez la finesse, l’amour des timbres qui se confondent, s’imitent, se cherchent tout au long des trois pièces. Le concerto pour violon Exultet offre une fusion entre le soliste et l’orchestre. La palette sonore est immense et se rapproche parfois de celle de Karol Szymanowski. C’est de la musique sacrée qui traite des mystères de la vie et de la mort (chant de la nuit de Pâques).
Le concerto pour violoncelle Moïra n’a rien à faire avec l’œuvre de Julien Green. Cette « destinée » (faite de clameurs, quêtes, supplices, déplorations…) renvoie aux tragédies de la Grèce antique. Le tuilage des parties, les fondus enchaînés, l’aspect sculptural de la masse orchestrale permettent au violoncelle de faire « chanter » son instrument. Sonia Wieder-Atherton et Laurent Korcia défendent cette musique avec ferveur. Ils l’ont créée au concert et les deux jeunes instrumentistes restent les meilleurs arguments pour défendre les propos d’Edith Canat de Chizy. Avec Pascal Rophé (trop peu présent dans la vie musicale internationale), grâce à leur sens du climat dramatique et à leur énergie, ils font beaucoup pour cette musique. Edith Canat de Chizy ne pouvait espérer soutien plus solide.