Le nom d’Eddie Costa est l’un de ceux que se repassent les jeunes amateurs qui découvrent l’île aux plaisirs secrets du pays du jazz. Un de ceux aussi que, plus avant dans leur carrière -affranchis ou confirmés, laissons le choix- ils laissent négligemment tomber, l’air entendu, pour se reconnaître entre eux comme des chiens se reniflent. Bref, l’un de ces malheureux que la mort a fauchés jeunes, les reléguant, s’ils n’accèdent pas au statut de mythe, au rang de comètes éternelle dont on attend le passage régulier au gré des rééditions. Une par génération, de quoi aiguiser le désir. C’est pourquoi il faut saisir ce Guys and dolls like vibes, reparu dans une collection qui alterne évidences et trouvailles exquises (voir notre mag « Jazz (encore) en Verve »). Costa, donc, vibraphoniste allègre doublé d’un pianiste au style étonnamment dactylographique et inoubliable, fut en 1957 l’élu du fameux référendum Down beat dans ces deux rôles, catégorie New star. Malheureux, mais pas maudit. Nous sommes en 58. Après avoir joué aux côtés de Joe Venuti, puis de Sal Salvador, alors fort à la mode, il forma le projet d’enregistrer des chansons de Broadway. L’exercice était en vogue, et lucratif, après le succès de My fair lady relu par André Prévin. Le choix judicieux du répertoire de Frank Loesser, aux mélodies originales (If I were a bell n’avait pas échappé deux ans plus tôt à la sagacité de Miles Davis qui l’inscrivit à son book dès 56 -la comparaison de ces deux versions renseigne sur la rapidité avec laquelle évolue le jazz en ces temps), se double de celui d’un partenaire exceptionnel : Bill Evans, alors en pleine ascension. Celui-ci se voit accorder une part de lion, égale à celle du leader, qui ne sera pas le moindre attrait de ce disque aux morceaux peu nombreux mais assez longs pour que chacun s’exprime longuement. Cette formation n’est autre que celle du Modern Jazz Quartet. Mais le vibraphone puissant, frappé sec, aux résonances courtes et le piano volubile mettent un terme à cette comparaison. Des arrangements goûteux : introduction en trio sans Costa, avec un Bill Evans qui anticipe sur le fameux groupe du Village Vanguard (I’ve never been in love before), des changements de mesures fleurant le latin (Luck be a lady), le curieux piétinement rétrograde de Guys and dolls, on ne saurait détailler les attraits particuliers de cette session. Mais, de part en part, le délicieux contraste entre un Costa direct au swing rude mais réel et les parties inspirées du pianiste, la mosaïque de ses mains imbriquées, le jaillissement printanier d’un flux mélodique qui semble neuf comme au premier jour -un contraste atténué par l’élan d’une énergie commune- émerveille. Leurs deux comparses ne sont pas pour rien dans cette réussite. Wendell Marshall, bassiste de grande classe qui venait de servir Ellington pendant sept années, le type même du musicien qui discrètement sut naviguer avec un égal bonheur entre les Anciens et les Modernes, Paul Motian, qui se montre en ses jeunes années un ardent swingman, à la charleston aussi drue, aux cymbales aussi fermes (Luck…) qu’elles seront plus tard impalpables, forment ensemble une rythmique dynamique et posée, élégante et preste. Tous deux gardèrent le meilleur souvenir de cet enregistrement, rapporte dans les notes conçues pour cette réédition le pianiste Dick Katz. Notre bonheur, c’est d’avoir ces souvenirs devant nous.

Eddie Costa (vb), Bill Evans (p), Wendell Marshall (b), Paul Motian (dm)
New York, 15-17/01/1958