Depuis Waters of Nazareth et la new-rave des Simian Mobile Disco, les dancefloors du monde entier n’ont plus d’yeux que pour deux écuries françaises : les labels Edbanger et Kitsuné. A chaque nouveau maxi, leurs poulains sont sujets à une dissection approfondie, pour nourrir grassement les Dj-sets des capitales. Ces jours-ci, sortent deux compilations. L’occasion de prendre la température des moteurs et d’évaluer les bolides concourant sous ces bannières.

En cette saison 2007, Ed Banger part favori, déjà en tête des classements par le seul effet d’annonce du prochain album des Justice -deux nerds garagistes mariant les genres en d’improbables alliances de métaux extrêmes avec la house-disco des Daft Punk. Maîtres absolus d’un groove hénaurme, le duo pilonne des symphonies doom à coups d’equalizer, compressions et filtres, pliés en quatre au service du sacro-saint Fracas sonore. Derrière eux, SebastiAn, autre terroriste des matières et structures, traite ses boucles funk sous acide. Grésils persistants, crunk sec, déjections trafiquées, textures concassées, sursauts et spasmes perturbent une mécanique savante, ressort rythmique et fond de commerce du label. On referme le capot pour voir comment la machine tourne. Les indicateurs semblent au vert, la caisse résonne un bon bruit. On n’entend plus rien aux fractures du moteur, qui vrombit en sourdine. De quoi assurer un départ enthousiasmant, certes, mais cela, c’était sans compter le drame -inévitable- à venir : quand leurs potes prendraient place dans la bagnole, pour une virée nocturne à l’assaut du Paris Paris.

Kavinsky d’abord, qui s’invite régulièrement aux soirées du label, les mains verrouillées à son volant moumoute et le regard plongé dans son rétroviseur. Il pilote l’engin comme une testa rouge en 1986, pied au plancher et arpeggiateurs emphatiques. De temps à autre, le fourbe fait klaxonner nappes de synthé et guitares pour mieux tamponner sournoisement les tympans de l’auditeur. C’est touchant, mais confiez une Ferrari aux mains de ce Jean Alesi des platines, on évalue à 90% la possibilité qu’il l’envoie au carton. On aurait d’ailleurs pu craindre de le voir pointer ses Ray-Ban™ sur cette compilation, il n’en est heureusement rien. Non, pour commencer, on a droit à pire : piste 2, Feadz aux platines pour un démarrage sur les chapeaux de roue, et sa copine Uffie dégueulant son flow par la fenêtre. Son Pop the glock la couronnait déjà plus insupportable fluokid de 2006, Dismissed en rajoute un verre dans le genre piston relou.

Quand vient le tour des protégés de Pedro Winter, Justice & DJ Medhi, ceux-ci ne s’écartent jamais de la route les menant droit aux Daft Punk (Phantom & stick it !, copies certifiées conformes aux normes Discovery-ennes). Busy P, assis à l’arrière le nez dans la poudre, n’a pas vraiment l’air de comprendre ce qui se passe et rigole tout seul de ses blagues -mater ce Rainbow man s’avère encore plus drôle en clip. Assez grave pour un patron de label.

Soudain, la mécanique entre en surchauffe, SebastiAn panique depuis les stands, son moteur tuné sous Reactor et nourri à l’éther explose en plein vol, son Greel fait siffler nos oreilles, le tout Edbanger se prend la tête dans guidon. La faute à un son trop corrosif, ne tenant pas la distance sur un disque. Tellement éphémère qu’on n’est même pas encore passé récupérer le rocker Vicarious Bliss -et sa Limousine bien sympa-, que la machine nous lâche en pleine course. Seul rescapé de l’incident, Mr Oizo, qu’ils avaient foutu dans le coffre et réduit à sa seule fonction de roue de secours pour les introductions. Résultat : l’écurie Edbanger a pollué tout l’espace sonore sans même passer l’épreuve du crash test. Trop de glitch tue le glitch, cette compilation sent la frime. On abandonne la carcasse en perdition, et s’oriente vers Kitsuné.

En première ligne pour sa troisième compilation maison, l’écurie parisienne dessert son plus prestigieux modèle : I believe des Simian Mobile Disco, bel écho du Pansoul de Motorbass pour ses nappes de synthé rêveuses et son groove élastique, porté par les chœurs hypnotiques et trémolos dans la gorge de Simon Lord. Un tour de disque plus loin, The Whip suggère une première définition des contours du son Kitsuné -avec un Trash, jamais éloigné des sentiers empruntés par le groupe Metric : une electro soft copule avec un rock moite pour d’interminables parties de jambes sur le dancefloor. L’hédoniste Gravity’s rainbow des Klaxons, élégamment taillé pour les boîtes par Van She, agite les baggys et stimule les phéromones des quelques-uns qui croient encore aux retours des free parties. Alex Gopher assure très proprement son virage new wave (Motorcycle), et lève enfin cette interrogation capitale : comment Kitsuné parvient-il à garantir son impeccable tenue de route ? Toujours, le label s’aventure sur des trajectoires tortueuses, pentes glissantes ou terrains instables, animé par une insatiable envie de découvrir, et pourtant, jusque dans ses dérapages arty (I love you all the time des Oh No, Oh My !), jamais il ne perd le contrôle. En fin de parcours, Erlend Oye, aka The Whitest Boy Alive, souffle un début de réponse avec son rock de chambre cosy (Done with you), sa production faussement cheap, lignes claires et batterie compressée : la piste de danse, la vraie, serait chez soi, dans son propre salon.

S’il fallait faire court, on aimerait dire que, quand Edbanger harnache l’auditeur aux pistes de danse, avec les mêmes gimmicks house servis depuis 1996, pour mieux le brutaliser, le mépriser et le fouetter ensuite, Kitsuné se tient à l’écart d’ambitions aussi sadiques, et appuie son développement sur la singularité de ses signatures. Plus court encore : Kitsuné est gentil, et Edbangers, méchant.