Au début du XXe siècle, une famille de paysans quitte la Sicile pour les States, motivés par une propagande immigrationniste. Photos de poules géantes, d’arbres à pièces d’or -boudiou l’Amérique est le pays de l’abondance. Emanuele Crialese suit leur progression pas à pas : ruralité quasi préhistorique (marcher pied nu sur la caillasse), urbanité primitive (acheter vêtements et chaussures), conscience de classe lors de la traversée de l’Atlantique avant la sélection aux services d’immigrations. Poète dans l’âme, le cinéaste l’appelle Golden door, portail de conte de fée ouvrant sur un Eden fantasmé, mais cruel, tu le sais bien spectateur du XXIe siècle.

On aimerait aimer Golden door pour moult raisons : l’audacieuse mise en scène de Crialese, son écriture directe, son sujet, ses acteurs, galerie de trognes minérales. Seulement voilà, il y a quelque de chose de préfabriqué dans ce film, d’empesé, voire de lourdingue. Cela tient justement à l’audace du film, ultra-martelée, dans son désir de synthétiser le moindre geste et de l’enturbanner d’universalité. D’où un sens de la démonstration qui fait basculer les images dans un entonnoir publicitaire plutôt grossier. Voyez la beauté du paysan grimpant la montagne, voyez comme la vie est rude (et l’image, rude aussi), considérons l’ignorance du pécore (« On la verra quand la Tlantique ? »), l’ignominie eugéniste des services d’immigrations (« Vous vous prenez pour Dieu ou quoi ? », balance la mémé guevariste de la famille qui refuse de se soumettre aux tests de QI).

La simplicité, dans Golden door, n’existe pas. Le simplisme, lui, en revanche, est omniprésent. C’est gênant parce que Crialese voudrait le fuir le simplisme. Il voudrait biffer l’imagerie, la contredire mais une fois encore, sa grammaire est par trop limitée. Il envoie Charlotte Gainsbourg dans la misère sicilienne comme un chien dans un jeu de quilles. Forcément, ça crée un effet, ça déstabilise le biotope (« mais qui est-elle ? »), ça fait jaser le spectateur (bah oui, qui est-elle ?). Comme le spectateur n’est pas pris pour un con (jamais) et que le cinéaste ne l’est pas non plus, une métaphore déboule : Charlotte est une sorte de statue de la liberté, un peu inquiétante, un peu trouble, elle s’appelle Lucy mais tout le monde à bord l’appelle Luce, vous commencez à comprendre, là ? Se justifier toujours, des énigmes que le film égraine, souligner le pourquoi des images. A son corps défendant, Crialese prouve que le brut de décoffrage peut se révéler ultra-didactique. C’est aussi stérile que la spontanéité fabriquée de toutes pièces.