Il y a peu de chances que les compañeros abstract d’El-Producto sautent sur ce disque. Parce que c’est un LP de hip-hop US qui sort sur un label anglais (mauvaise raison n°1). Parce qu’il porte la marque lointaine, mais encore bien visible, de l’ »Artist Formerly Known As The Fresh Prince » (il était le rapper, Jazzy Jeff était le Dj), ce qui n’est pas vraiment le meilleur gage de crédibilité hardcore (mauvaise raison n°2). Parce que Jazzy Jeff est dans le circuit rap depuis presque 20 ans maintenant (mauvaise raison n°3). Parce que la moitié des titres de The Magnificent sont -fortement- imprégnés de R&B (mauvaise raison n°4). Parce qu’il y a un titre de house à la fin (mauvaise raison n°5). Autant d’impressions superficielles, qui masquent en réalité l’une des -plutôt- bonnes surprises de cette rentrée.

Bonne raison n°1 : ce disque est la cinquième (sixième ?… On a un peu perdu le fil) sortie dans la série The Beat generation de BBE, qui a déjà aligné Jay Dee (chroniqué ici en son temps), Pete Rock, Marley Marl et Will I Am des Black Eyed Peas (excusez du peu), pour des albums pas toujours réussis mais qui donnent à cette collection une réelle cohérence d’ensemble, rare en ces temps de blitzkriegs marketing célébrant le vite vendu, vite oublié.

Bonne raison n° 2 : quiconque est un peu versé dans l’histoire du Djaying sait que, même à l’époque où il partageait l’affiche avec Will Smith, Jazzy Jeff a toujours eu du style (on le crédite même d’avoir inventé un truc ou deux de l’arsenal technique du Dj hip-hop d’aujourd’hui). Et ces choses-là ne s’oublient pas, Grandmaster Flash l’a récemment prouvé.

Bonne raison n°3 : plus que le disque d’un revenant, ce LP est en fait l’oeuvre collective de A Touch Of Jazz, le lâche conglomérat de talents qu’entretient Jazzy Jeff depuis sa base arrière de Philly, d’où il n’a jamais cessé, discrètement mais sûrement, de participer aux mutations des « musiques urbaines » locales ; et de fait, The Magnificent est un album où les nombreux invités se succèdent avec fluidité devant et derrière la console, sans créer cette désagréable impression de patchwork que suscitent d’habitude les castings pléthoriques.

Bonne raison n° 4 : Philadelphie vit depuis quelques années une renaissance musicale comme la ville n’en avait plus connu depuis les grandes heures de Gamble & Huff. Jazzy Jeff, qui n’est pas étranger à ce mouvement, en donne ici sa lecture. Sur des ambiances nonchalantes citant Roy Ayers et Stan Getz et évoquant plus d’une fois le Nu Yorican Soul du Nervous track ou de Mind fluid (voir plus bas), l’album oscille entre un R&B mêlé de rap et servi dans sa version la moins dépourvue d’âme (en particulier sur le très 70s We live in Philly avec Jill Scott, ou sur How I do, qui arrive à nous rendre supportable Shawn Stockman des Boyz II Men) et de purs moments de hip-hop (Mystery man et ses syncopes robotiques, Scram, avec notre homme Freddie Foxxx, forcément abrasif, les deux titres de J-Live, comme d’habitude impeccables de maîtrise, et dont on retiendra tout particulièrement le turntabliste Break it dawn et ses 13 (!) Djs…) selon une mécanique toute de subtilité -même si quelques morceaux, comme Rock wit U ou Love savior fondent un peu trop dans la main, mais pas dans la bouche pour votre serviteur.

Bonne raison n°5 : le titre house dont il était question plus haut (In time) est produit par les Master At Works. Et un bon titre des MAW vaut toujours mieux que deux titres excellents d’une lessive ordinaire… Alors, « magnificent » cet album ? Quand même pas. Convaincant ? Certainement.